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Publié par Scientifique

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Le culte de la beauté fait des dégâts jusque dans la faune.

C'est un matin clair et ensoleillé au National Zoo de Washington. Un jeune léopard, perché sur un tronc, surveille ses frères et sœurs qui flemmardent au soleil. Un éléphant d'Asie se promène de son train de sénateur. Un panda, coincé au bord de sa grotte, fait la sieste, fesses tournées vers le public. Devant chaque enclos, une foule d'enfants et leurs accompagnateurs glapissent de joie au moindre petit mouvement d'un animal, qu'importe que le geste soit des plus insignifiants.

De gros animaux, séduisants et charismatiques, sont ce qui poussent les visiteurs à payer leur entrée. Les zoos existent pour divertir: l'évidence veut donc qu'ils gardent les créatures que les gens aiment le plus. Mais ces dernières dizaines d'années, zoos et aquariums se sont aussi mis à héberger bon nombre d'initiatives de protection des espèces menacées, notamment des programmes de reproduction en captivité. La préférence humaine pour le joli fausse ces initiatives.

 

Les animaux moches méritent, eux aussi, d'être sauvés.

 

Les léopards, éléphants et pandas font tous partie du programme de reproduction en captivité du National Zoo et ils sont assez représentatifs de ce genre d'initiatives de conservation. Daniel Frynta, biologiste à l'Université Charles de Prague, en République Tchèque, vient de comptabiliser, avec ses collègues, toutes les réintroductions de mammifères effectuées en 1992 et 2009. Sur les plus de 30 espèces présentes sur la liste de Frynta, la seule qui s'approche, à la limite, de la mocheté est le lycaon –et il pourrait, d'ailleurs, très bien ne pas compter vu comment les canidés, même vilains, trouvent toujours quelqu'un pour les aimer.

 

Un lycaon / Michael Gäbler via Wikimedia Commons

Selon un rapport de 2011, les zoos n'hébergent environ qu'un quart des espèces d'oiseaux du monde, 12% des reptiles et un ridicule 4% des amphibiens. Les mammifères, eux, sont 16% à être présents dans les zoos, selon les calculs de Frynta, et sont dominés par des espèces bien connues aussi imposantes que séduisantes, à l'instar des félins, girafes, éléphants, primates et ours.  Les petits habitants des profondeurs, avec leurs yeux perçants, ne font globalement pas partie de la liste.

 

Les représentants de la mignoncité: un bébé singe, un lionceau et des bébés tigres jouent au Guaipo Manchurian Tiger Park à Shenyang, le 1er mai 2013. REUTERS/Stringer

Une tendance équivalente se retrouve chez les oiseaux. En analysant les collections mondiales de perroquets, amazones et autres aras, l'équipe de Frynta a trouvé que les oiseaux qui avaient le plus de chances d'êtres gardés en captivité étaient les espèces avec plumage coloré, queue longue et taille certaine, pas les plus rares et ayant besoin d'aide pour ne pas disparaître. Cette préférence pour le gros et le séduisant s'applique aussi aux serpents

Dans la conservation animale, l'idée d'une arche de Noé n'est jamais très loin: les zoos et les aquariums sont considérés comme une assurance-vie pour les créatures du monde. Nous pouvons détruire leurs habitats et, quand nous déciderons de les réintroduire dans la nature, nous aurons épargné suffisamment d'individus pour leur faire reprendre le chemin de la vie sauvage.

Cette stratégie a fonctionné pour bon nombre d'espèces, dont les loups, les chevaux de Przewalski et les putois à pieds noirs. Et quand la chytridiomycose s'est mise à menacer les amphibiens du monde, de nombreux zoos ont décidé d'élargir leurs collections de grenouilles, crapauds et autres bestioles gluantes, créant ainsi l'Amphibian Ark, une sorte de réserve de sauvegarde susceptible, un jour, de repeupler des écosystèmes où la maladie du chytride aura décimé des populations ou des espèces entières.

Mais la vérité, c'est qu'aucun zoo ne peut être une arche de Noé. Ils n'ont pas suffisamment d'espace ni de moyens et un zoo ne peut se contenter de ne garder qu'un seul couple sans rapidement rencontrer des problèmes de consanguinité. Effectuée convenablement, la reproduction en captivité nécessite beaucoup d'espace et d'animaux, et des choix se doivent d'être faits.

 

A l'heure actuelle, ce choix est bien souvent motivé par les désirs d'enfants de 2 ans et de leurs parents qui cherchent à leur faire passer le temps. L'état de la conservation animale n'est pas une préoccupation majeure et cela se voit. Les zoos et les aquariums n'abritent qu'1/7e des espèces menacées, une proportion encore plus minime si on raisonne en termes de taille des populations. Par conséquent, ils loupent la possibilité de sauver des animaux aussi laids qu'incroyablement rares:

 

 

Le solenodon –il y a deux espèces, celui de Cuba et celui d'Haïti– ressemble à un mélange de rat et de tamanoir. Sa salive est venimeuse et ces créatures sont connues pour mordre sans avoir été provoquées. Mais les solenodons sont menacés par les chats, les chiens et autres prédateurs introduits par l'homme, et ils sont tellement rares que l'espèce cubaine a été redécouverte après dix ans de recherche.

 

 

Les femelles des phoques à capuchon pourraient être considérées comme des animaux jolis –les phoques sont, en général, assez mignons–, mais leurs homologues masculins se caractérisent par un gros bulbe flasque qui leur pend entre les yeux. Quand un mâle est menacé, il gonfle ce bulbe, comme un gros ballon rouge, pour envoyer un avertissement à son adversaire. 

Le marabout argala est une espèce d'échassier vivant en Asie du Sud-Est et a sans doute quelques soucis de réputation, vu qu'on le retrouve souvent dans les décharges. Mais comme il se nourrit de charognes, son action de recyclage alimentaire est aussi très importante pour la vie sauvage.

Les zoos et les aquariums gagnerait à s'inspirer de l'Ugly Animal Preservation Society, une troupe de stand-up tournant actuellement dans les festivals scientifiques britanniques.

 

 

Ils pourraient ainsi ajouter une autre espèce de singe à leurs collections, le ouakari chauve, un primate à face rouge que l'on trouve au Brésil et au Pérou. Ils pourraient aussi jeter leur dévolu sur le blobfish, une espèce non comestible vivant en eaux profondes, déjà sacré animal le plus moche du monde et quasiment décimé par le chalutage de fond.

«Les zoos remplis d'animaux certes menacés, mais moches, ne gagneront jamais d'argent», admet Frynta. Mais des chercheurs ont montré que, lorsque les gens savent qu'une espèce moche est en danger, elle devient du même coup plus séduisante à leurs yeux et ils ont davantage tendance à vouloir la protéger. Zoos et aquariums pourraient convaincre leurs visiteurs de les aider à sauver, a minima, quelques créatures moches. Certains établissements s'y sont d'ailleurs attelés.

 

 

Des Australiens ont réussi à collecter plusieurs millions de dollars pour sauver le diable de Tasmanie, un animal non seulement laid, mais qui a aussi la réputation d'être particulièrement vicieux. En Russie, un programme de reproduction en captivité concerne une espèce de saïga, une antilope à l'air tout à fait renfrogné. Et quant au aye-aye –un lémurien de taille moyenne que les habitants de Madagascar tuent, tout simplement, parce qu'ils le trouvent trop effrayant– il est l'objet d'un programme de reproduction en captivité mené par le zoo anglais de Bristol.

 

 

Et à chaque fois que je visite le National Zoo, tout au fond de la maison des petits mammifères, la cage des rats-taupes nus rencontre toujours un franc succès, avec des enfants passionnés par ces rongeurs quasiment chauves –qui ne sont ni des taupes, ni des rats– s'agitant dans leurs labyrinthes de plexiglas. Si on devait faire un concours d'animaux moches, cette espèce arriverait certainement en première place, ce qui ne l’empêcherait pas d'avoir des fans.

 

 

Choisir de ne sauver que les espèces qui attirent les dollars des touristes peut, sans doute, protéger les panthères nébuleuses, les ours polaires ou les orangs-outans, mais de la sorte, nous risquons de voir disparaître des espèces non seulement intéressantes, mais aussi et surtout écologiquement cruciales. Faire des choix en fonction de l'apparence est rarement une bonne stratégie dans la vie –la conservation des espèces ne fait pas exception. 

 

Sarah Zielinski


Traduit par Peggy Sastre



 

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A
oh my god oh my god la premiere photo
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