«Pigeon, oiseau à la grise robe, dans l’enfer des villes à mon regard tu te dérobes ; tu es vraiment le plus agile», déclamait Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous. Si n’importe quel citadin pourra constater au détour d’un trottoir que le pigeon commun, ou pigeon biset (Colomba livia), est effectivement le plus souvent de couleur grise, l’œil attentif ne manquera pas de temps à autre d’en repérer un blanc, un roux, un marron, ou toute autre combinaison de ces teintes.

 

Domestiqué depuis des siècles, le pigeon biset est aujourd’hui représenté par 350 races différentes, et autant de plumages distincts. Cette grande diversité, assortie de types bien définis et facilement identifiables, a permis à des chercheurs de l’université de l’Utah d’examiner en détail les sources génétiques du coloris des pigeons. Leurs travaux, cités sur le site phys.org, indiquent qu’ils ont découvert les trois gènes déterminant la ou les couleurs d’un pigeon, ainsi que la façon dont ils interagissent les uns avec les autres. Cerise sur le gâteau : ces trois gènes sont également présents chez l’homme où ils agissent sur la pigmentation de la peau et expliquent des phénomènes tels que l’albinisme ou la sensibilité aux UV, et donc le risque de mélanomes.

 

Il existe de façon générale trois couleurs principales de pigeons. La teinte «bleu noir» est celle qui est le plus fréquemment trouvée chez le pigeon citadin. Les deux autres sont «rouge» et «marron». Le choix de l’une de ces trois dominantes est déterminé par les variations (ou «allèles») d’un premier gène, nommé Tyrp1. Cette action peut être contrecarrée par un deuxième gène, Sox10, dont certaines versions rendent le pigeon rouge quelle que soit la forme prise par Tyrp1. Le troisième gène, Slc45a2, détermine si la couleur de l’oiseau sera vive ou délavée.

 

 

Sur la ligne du haut, le premier pigeon arbore une couleur «cendre et rouge» liée à un allèle mutant du gène Tyrp1. Le deuxième est bleu noir en raison de la version de base de Tyrp1, et le troisième est brun, à cause d’un autre allèle mutant de Tyrp1. Le quatrième, dont le génome comporte la version mutante du gène Sox10, est entièrement rouge. Les quatre pigeons du bas présentent les mêmes versions de Tyrp1 et Sox10 que leur voisin du dessus, mais disposent en plus de l’allèle mutant de Slc45a2, qui éclaircit leur plumage. (Photo Eric Domyan, University of Utah)

Ces trois gènes existent aussi chez l’homme et sont responsables de la pigmentation de sa peau. «Chez l’homme, les mutations de ces gènes sont généralement considérées comme néfastes car elles peuvent causer l’albinisme ou rendre les cellules de la peau plus sensibles aux dégâts des UV et aux mélanomes, les pigments protecteurs étant plus rares, voire absents», commente le biologiste en postdoctorat Eric Domyan, l’un des auteurs de l’étude. «Chez les pigeons en revanche, la mutation de ces mêmes gènes aboutit à des couleurs de plumes différentes, ce qui est une aubaine pour les éleveurs.»


«Nos travaux apportent un nouvel éclairage sur la façon dont les mutations de ces gènes affectent leur fonctionnement et la façon dont ils interagissent», renchérit Michael Shapiro, directeur de l’étude. «De nombreux traits chez les animaux, dont ceux qui sont responsables de maladies telles que le cancer, dépendent de plusieurs gènes. Pour mieux comprendre comment ils fonctionnent ensemble pour produire un trait, nous devons souvent sortir du champ des études sur l’homme, qui sont plus difficiles à mener. Tyrp1 et Sox10 sont des cibles potentielles pour le traitement du mélanome, et les mutations de Slc45a2 chez l’humain peuvent modifier la couleur de la peau et engendrer l’albinisme.»


Concernant les pigeons, un point reste à éclaircir : si on sait désormais comment les couleurs de l’oiseau sont déterminées, on ignore de quelle façon leur répartition sur son corps, entre la tête, le dos, la poitrine ou les ailes, est définie.

 

Gregory SCHWARTZ