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Publié par Scientifique

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Depuis dix ans, les analyses de ce concept en psychologie, économie et sciences sociales connaissent un intérêt croissant de la part du public et des décideurs politiques.

Lors des dix dernières années, la recherche sur le bonheur en psychologie, économie et sciences sociales a connu un intérêt croissant de la part du public et des décideurs politiques. De ce point de vue, les derniers mois et années ont été riches en rapports et livres en tout genres, comme les deux rapports mondiaux publiés en 2012 et fin 2013 par l’université Columbia, la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies de 2012 qui établit une journée internationale du bonheur, le rapport de l’OCDE sur la mesure du bien-être subjectif ainsi que de nombreux ouvrages.

 

Cela ne signifie nullement que le thème du bonheur soit nouveau. Au contraire. Tout au long de l’histoire, les hommes se sont interrogés sur ce qu’était le bonheur, sur ce qui les rendait heureux et pourquoi il en était ainsi.

Dès l’Antiquité, les philosophes grecs ont identifié deux formes de bonheur. Le bonheur peut se concevoir soit comme un état mental (hedonia) résultant de la présence de sensations positives (plaisir) ou de l’absence de sensations négatives (douleur), soit comme le développement des facultés propres à l’homme (eudaimonia), en particulier celles relevant de la partie supérieure de l’âme, c’est-à-dire intellectuelles.

Depuis lors, les recherches fluctuent entre ces deux pôles, le plaisir hédonique et l’accomplissement eudaimonique, sans toutefois s’y limiter (par exemple, le concept psychologique de bien-être subjectif inclut la dimension hédonique, mais aussi la satisfaction avec la vie, qui est évaluée en posant directement la question aux individus)[1].

Le caractère novateur des recherches sur le bonheur ne réside pas plus dans le paradoxe d’Easterlin, discuté à l’envi depuis les années 1970, qui affirme que, bien que toujours plus riches, les sociétés industrielles connaissent depuis des décennies une stagnation du bonheur auto-reporté (c’est-à-dire quand on demande aux individus d’évaluer leur niveau de bonheur ou leur satisfaction).

L’adage «l’argent ne fait pas le bonheur» rappelle la banalité de ce paradoxe. Nous avons tous l’intuition que notre satisfaction ne résume pas à notre bulletin de paie ou réussite matérielle. En ce sens, le paradoxe d’Easterlin ne fait que confirmer une idée qui nous est familière.

La nouveauté du bonheur

Dès lors où se situe l’originalité de la recherche sur le bonheur? Pourquoi fait-elle parler d'elle? Plusieurs raisons expliquent ce succès.

La principale tient à ce que nous avons accès pour la première fois à des preuves tangibles de l’absence de causalité forte entre bien-être matériel et bien-être psychologique. Même en faisant preuve de scepticisme, il convient de reconnaître que nous possédons des éléments concrets qui peuvent informer de manière utile discussions, validations, réfutations ou amendements sur le sujet.

Une autre raison plus évidente tient dans l’importance que nous octroyons tous au bonheur dans notre vie personnelle. Sous une forme ou une autre, nous cherchons tous à être heureux. Il y a bien des projets de vie fondés sur la mélancolie ou la souffrance psychologique, mais pour la plupart d’entre nous, le bonheur est incontournable.

Le nœud du problème se situe ailleurs: dans la formulation «sous une forme ou une autre». La recherche sur le bonheur a le vent en poupe, car elle promet de nous renseigner sur ce qu’est le bonheur et ce qui le cause dans toutes ses variantes. Quel sujet de recherche peut alors se prévaloir d’un agenda aussi «sexy»?

Outre le fait d’être «sexy», les recherches sur le bonheur contiennent également des implications pour les sociétés industrielles qui peuvent être difficilement écartées d’un revers de main. Ce sont de telles implications qui justifient que l’on s’intéresse à la recherche sur le bonheur, que l’on soit chercheur, décideur ou citoyen.

La compétition peut être nocive

Cherchant des explications au paradoxe d’Easterlin, des chercheurs insistent sur le fait que le surcroît de richesses créé par les sociétés industrielles est principalement utilisé à des fins de «consommation ostentatoire». Parce que nous restons des animaux mus par le statut, nous investissons d’importantes ressources afin de signaler notre appartenance sociale, notre capital culturel, etc.

Nous achetons des produits de marque, nous allons à la gym, nous faisons des heures supplémentaires, nous roulons en Mercedes ou BMW, nous voyageons dans des destinations à la mode, car nous dérivons de la satisfaction de telles activités, mais aussi pour nous distinguer d’autrui et affirmer ainsi à la fois notre singularité et notre statut.

Toute compétition n’est cependant pas nocive. Entre entreprises, elle peut produire d’importants bénéfices, comme des innovations technologiques ou des réductions de coûts. Mais la compétition distinctive comporte nombre d’effets indésirables qu’une société peut vouloir corriger.

Elle est socialement inefficiente, car le gain de satisfaction qu’un individu en extrait est compensé par la perte de quelqu’un d’autre. Des exemples: la satisfaction qu’apporte l’achat d’un Van Gogh, des vêtements de marque, un voyage aux Seychelles, le dernier album d’un groupe de musique underground, une Aston Martin, une place pour ses enfants dans une école de qualité tient à ce que l’accès à ce type de biens est limité. Si tout le monde roulait en BMW, possédait un Van Gogh, partait en vacances aux Seychelles ou envoyait ses enfants dans une école de qualité, il y aurait moins de fierté et de satisfaction à en tirer.

De manière plus inquiétante, des études en épidémiologie démontrent que le statut rend malade, voire tue. Elles indiquent que morbidité et espérance de vie sont liées au statut social.

Certaines de nos priorités nous rendent misérables

Un problème plus sérieux est que, individuellement et collectivement, nous investissons trop de ressources dans la recherche de statut. Nous achetons des biens pour signaler notre statut par exemple, mais tout le monde faisant la même chose, le jeu est à somme nulle, sauf que nous avons collectivement utilisé des ressources qui auraient pu servir à financer des investissements dans l’éducation, la santé, les infrastructures publiques ou les technologies d’avenir (comme les énergies vertes).

Les études sur le bonheur montrent aussi que nous passons trop de temps à des activités qui ne nous apportent ni satisfaction durable ni épanouissement personnel. Par exemple, «travailler plus pour gagner plus» (lorsque ce n’est pas une nécessité vitale) provoque, passé un certain seuil, nombre de pathologies liées au stress et réduit le temps passé avec la famille ou les amis (deux sources majeures de bonheur).

On peut toujours s’interroger sur les raisons qui nous poussent à faire de tels choix: la principale est à chercher dans la première idée. La volonté de nous distinguer nous conduit à faire de mauvais arbitrages. D’autant plus si l’on considère que nous avons tous plus ou moins l’intuition qu’échouer à obtenir un statut élevé peut entraîner une série de conséquences indésirables, notamment pour notre santé physique.

Les inégalités peuvent hypothéquer le bonheur

Des études démontrent également que plus une société est inégalitaire, moins le bonheur moyen y est élevé. Même si la causalité reste à démontrer, on ne peut que constater la forte corrélation au niveau mondial entre bonheur et égalité (de revenus ou de richesses). Il s’agit d’ailleurs de l’un des facteurs invoqués pour expliquer le bonheur élevé des sociétés scandinaves, Danemark en tête.

Un gouvernement soucieux du bien-être de sa population (sans même parler de son bonheur) a alors tout intérêt à se pencher sur la question des inégalités avec sérieux. Sans aboutir à une égalisation pure et simple des conditions, la recherche sur le bonheur fournit des raisons pour lesquelles se soucier d’inégalités trop importantes, notamment en ce qui concerne les effets distants sur la qualité de notre capital social (confiance, stabilité politique, etc).

L’un des effets les plus intéressants de la recherche sur le bonheur est d’amener chercheurs, décideurs et citoyens à s’interroger sur la qualité de vie dans les sociétés industrialisées, autrement dit à se poser la question suivante: tirons-nous le meilleur parti des richesses que nous créons? Il s’agit d’une démarche qualitative, qui n’est pas dépourvue d’aspects plus troubles. Mais, quoi qu’il en soit, la recherche sur le bonheur a l’avantage de nous forcer à interroger la pertinence de nos choix individuels et collectifs au regard de la satisfaction qu’ils nous procurent.

Xavier Landes

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