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Publié par Scientifique

Qu'est-ce qui tue les étoiles de mer ?

Une enquête de «Vice» raconte l’hécatombe encore inexpliquée qui touche des millions d’étoiles de mer sur la côte pacifique américaine.

Des étoiles de mer qui en quelques jours ou quelques heures ramollissent, se couvrent de lésions blanches, se dégonflent, s’arrachent leurs propres bras et se dissolvent en une sombre matière gluante. C’est sur ce syndrome de dépérissement des étoiles de mer et cette vision d’horreur que se penche une longue et passionnante enquête de Vice, dont une version française a été publiée cette semaine. Il s’agirait du plus répandu de tous les événements de mortalité animale qui ait été répertorié, et la communauté scientifique est toujours à la recherche de sa cause.

Ce sont des millions d’étoiles de mer de différentes espèces qui ont été terrassées par ce fléau sur toute la côte pacifique américaine, depuis le sud de la Californie jusqu’au sud de l’Alaska. Dans de nombreux endroits, l’hécatombe a touché plus de 90% de la population, à des allures très diverses. L’alerte a été donnée dès 2013 en Californie, rapidement relayée au sein de la communauté scientifique et dans les médias. L’Aquarium de Vancouver publiait en novembre 2013 une vidéo en accéléré de l’observation d’une étoile malade : en seulement sept heures, elle perdait ses membres et commençait à se dissoudre.

Le phénomène est d’une ampleur telle que les citoyens s’en sont alarmés. Fouillant les endroits peu surveillés par les équipes de recherche, des milliers de bénévoles ont contribué à l’établissement d’une carte participative, mise en ligne par le spécialiste en écologie Peter Raimondi, professeur et chercheur à l’Université de Santa Cruz. Celui-ci a raconté au New Yorker avoir répondu à des centaines d’appels, d’emails, d’articles de blogs, et de messages angoissés de citoyens : «C’est la plus forte anxiété que j’aie pu connaître. Les gens ne sont pas seulement inquiets pour l’environnement, ils sont aussi inquiets pour eux-mêmes.» Certains comparent le phénomène aux dix plaies d’Egypte, d’autres y voient le signe de la sixième extinction, ou n’hésitent pas à employer le néologisme d’«Aflockalypse», inventé en 2011 par Melissa Bell dans un article du Washington Post à partir du terme anglais «flock» qui désigne un groupement d’animaux.

Un virus repéré

Les hypothèses vont bon train, sur les réseaux sociaux comme chez les scientifiques. Certains se sont penchés sur un possible lien avec la catastrophe de Fukushima, mais la chronologie du dépérissement ne coïncide pas avec l’arrivée des radiations. On a longtemps privilégié l’hypothèse du réchauffement aquatique, à la source de plusieurs épisodes de haute mortalité chez d’autres espèces, parmi lesquels la décoloration des coraux dans les Caraïbes en 2010, la mort de milliers de pélicans au Pérou en 2012, la découverte de 100 000 oiseaux morts sur les côtes américaines de l’océan Pacifique cet hiver, ou encore la famine des otaries de Californie du Sud il y a peu. Mais le dépérissement a commencé avant que le réchauffement des eaux sur la côte ouest américaine ne soit notable, et surtout, il concerne aussi l’Alaska où les eaux sont bien plus froides.

En novembre 2014, l’équipe de Ian Hewson, microbiologiste à Cornell, a découvert un virus présent de manière très dense dans les échantillons prélevés sur les étoiles de mer mortes. Baptisé SSaDV, le «sea-star associated densovirus» ou «densovirus associé aux étoiles de mer», il a été repéré en quantité importante chez d’autres espèces marines comme les oursins ou les concombres de mer, mais aussi sur des spécimens d’étoiles de mer datant de 1942. L’explication du densovirus serait donc insuffisante pour expliquer pourquoi ce virus est soudainement devenu fatal. Peter Raimondi explique à Vice que même si le virus s’avérait être responsable du dépérissement, il ne pourrait agir seul. Au nombre de ses complices présumés, une eau un peu plus chaude, l’hypoxie (une diminution de la quantité d’oxygène distribuée par le sang aux tissus), la pollution, l’acidification des océans. Ou tous ces phénomènes à la fois, ou même aucun d’eux.

Hauteur des vagues

Si les étoiles de mer venaient à s’éteindre, l’écosystème marin en serait fortement modifié : les étoiles de mer se nourrissant d’oursins et de moules, on n’en contrôleraient plus la population. Les oursins se nourrissant eux-mêmes d’algues, les «forêts d’algues» deviendraient des déserts, ce qui influerait sur bien des espèces d’oiseaux, et peut-être même sur la hauteur des vagues. Un mince espoir subsiste : le New Yorker signalait au mois d’avril que sur la côte ouest américaine, on comptait au printemps davantage de minuscules bébés étoiles de mer que lors des quinze dernières années, et ce sur un plus grand nombre de sites. Vice rappelle que cela ne signifie pas que l’écosystème soit sorti d’affaire : «Le virus pourrait bien être bénin en de trop petites quantités, et fatal seulement s’il se développe suffisamment. Dans ce cas, des étoiles paraissant saines grandissent jusqu’à atteindre une certaine taille, seulement pour tomber raides mortes.»

Les épisodes de mortalité animale inexpliqués ne sont pas une nouveauté. Le New Yorker le rappelle avec des exemples hétéroclites, citant aussi bien Aristote, des explorateurs espagnols du XVIe siècle, ou les réseaux sociaux. Il existe même une carte Google Maps qui recense ces événements. Mais ainsi que le montre une étude de chercheurs américains publiée en août 2014 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, les crises de mortalité massive chez les animaux augmentent en nombre comme en ampleur, même si l’on essaie de corriger les statistiques en prenant en compte le fait que ces phénomènes sont bien plus susceptibles d’être documentés de nos jours que par le passé. David Horwich, bénévole chez l’ONG Reef Check, pose donc dans l'article de Vice une question légitime : «Est-ce un événement unique, ou un signe avant-coureur de quelque chose de bien pire ?»

Laure ANDRILLON

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