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Publié par Scientifique

Sexting, stressing : les montagnes russes émotionnelles des rencontres modernes

En 2010, un dixième des jeunes adultes utilisait le texto pour inviter quelqu'un à un premier rendez-vous. Trois ans plus tard, nous sommes passés au tiers.

Cela signifie que notre interaction primordiale passe par notre téléphone / par Facebook (tout cela est redoutablement casse-ambiance, je sais, mais il est temps de reconnaître que toute messagerie est un sextoy) et que nous pouvons connaître la joie de ces tourments modernes : pourquoi la personne ne répond-elle pas à un message qui a été reçu et lu ? Que peut-on bien avoir à faire de plus urgent que de prendre trente maudites secondes, ne serait-ce que pour envoyer un râteau ? Quel est ce message que la personne a commencé à taper et qui n'a jamais été envoyé ? C'est bon ou mauvais signe ? Que signifie ce putain d'emoji ?

Petite digression sur les emojis : serions-nous par hasard en train de devenir des handicapés de la réaction ? Quelque chose de sombre et d'intéressant comme les entrailles de Chtulhu se joue là. Facebook nous propose comme activités manger mais pas boire, être actif mais pas être passif, amoureux mais pas indifférent... du pur conditionnement social. Et puis être heureux, ça veut dire quoi ? Heureux comment ? On peut être heureux de soulagement, on peut être content, satisfait, joyeux, serein, enthousiaste, on peut être dans l'excitation, la jubilation, le pétillement, et tout cela est tellement incroyablement différent – toute confusion est un continent qui s'écroule, et une réelle incompréhension quand on croyait communiquer. Il y a des émotions autorisées, des hobbies encouragés. Je crie au Big Brother quand on me propose « yay » et que mon ressenti précis est « fuck yeah » ou « je suis heureuse que cet ami passe de bonnes vacances mais une certaine amertume teinte l'altruisme de ma joie, car moi aussi j'aimerais prélasser mon gras sur une chaise-longue, ce qui est présentement impossible pour les 186 raisons suivantes. Par ailleurs je culpabilise d'être aussi envieuse. Une bonne personne ne ressentirait pas cette envie et flotterait au-dessus des contingences. Tout ceci prouve que mon sourire cache l'égoïsme le plus vil – oh, salut Damien, profite bien du virus Zika en Martinique, surtout, hein ».

Mais revenons à notre texting, et aux délais dans les réponses. Selon un article de l'acteur Aziz Ansari paru dans nautil.us, les chercheurs ont montré que nous sommes particulièrement réceptifs à la récompense incertaine – nous sommes surmotivés quand nous ne savons pas si nous serons récompensés de nos efforts (ici, toute l'industrie de la loterie débouche le champagne). L'idée étant que si la récompense nous attend à tous les coups, alors on peut s'en emparer quand ça nous chante et disparaître juste après. Elle devient un dû. Alors que nous sommes plutôt enclins à chercher à combler le manque, donc à désirer les objets ou les personnes les plus rares – ceux et celles qui se font désirer, qui pourraient disparaître du marché.

Vous avez reconnu la fameuse technique « un pas en avant, deux pas en arrière » qui nous complique considérablement la vie – deux personnes ayant envie de coucher ensemble, qui jouent les difficiles de peur de passer pour des désespérés, et qui finissent par rater le coche. Ce qui me déprime vaguement dans cette histoire, c'est qu'on soit en permanence occupés à reconstruire des hiérarchies sociales : le partenaire qui lâche le moins vite se retrouve en situation de décision, de supériorité, alors même que c'est l'autre qui a eu le courage de pousser ses pions. De manière absurde on récompense la mauvaise personne : le monde serait quand même plus zen si être facile d'accès garantissait la popularité, plutôt que de se lancer dans des concours de résistance.

Sauf qu'apparemment, notre cerveau a décidé de contrarier notre aspiration au bonheur (du moins notre aspiration aux slips). Le problème est d'autant plus marqué pour notre génération que le texting est censé aller vite : autant attendre une lettre paraît normal, autant attendre un texto paraît absurde. Nous sommes donc obligés de ravaler beaucoup plus de frustration – on commence nos relations par de la frustration, on commence par haïr l'autre de nous infliger ça (même si ces tergiversations sont la raison pour laquelle on est attiré). Ne pas répondre interdit à l'autre de cocher cet élément sur sa to-do list : ne pas savoir, devoir attendre, c'est l'autoroute de la rumination. La personne non-répondante se retrouve à prendre une place émotionnelle démentielle. Dans le pire des cas, on se retrouve à ressentir un début de sentiment amoureux, mais totalement artificiel. Totalement mécanique. Misère.

Le jeu devient d'autant plus cruel que quand la personne volontairement ne répond pas (laissons de côté les 1 % qui sont vraiment en réunion), c'est qu'elle est activement en train de s'assurer une position dominante dans votre interaction. Chaque minute qui passe devient la preuve que pour l'autre, le statut social importe plus que vous. Donc on préfère les gens qui nous préfèrent moins (que leur statut).

Bref : il y a de quoi s'arracher les cheveux, et je pensais que ce rappel permettrait de vous saboter efficacement votre début de semaine. Je vous embrasse. (Et pour vous rassurer : je suis dans le camp des désespérés, je réponds toujours dans la seconde. C'est d'ailleurs par fierté que je le fais : parce que j'estime ne pas avoir besoin de manipuler, et que si vraiment j'aurais dû en arriver à ces jeux ridicules, alors cette relation aurait été de toute façon insatisfaisante. Pas de regrets.)

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