L'escalator est-il mauvais pour la santé ?
Vous êtes plutôt escalator? Patients ou juste fatigués par les transports en commun? Et votre médecin, il en dit quoi? Au final, est-ce que ça change vraiment quelque chose?
On a tous une bonne raison d'emprunter un escalator en sortant des transports en commun. D'autant qu'il n'y a pas toujours des escaliers à proximité (oui, ça arrive!). Dans le cas contraire, de nombreuses justifications sont possibles: se soulager la voûte plantaire, ménager son dos et ses bras du poids d'une valise, faciliter la montée de quelques marches de l'enfant en bas âge qui vous accompagne, finir la page du livre que l'on dévore depuis trente minutes dans la rame bondée du métro à laquelle on vient d'échapper, ou pour raisons physiques ou médicales.
Des raisons, il y en a. Pour autant, tous les usagers des transports en commun, lieu flagrant du comportement en question, ne répondent pas à ces critères.
Nous n'irons pas jusqu'à dire que l'invention de l'escalator, concept breveté pour la première fois le 15 mars 1892 par son inventeur, l'Américain Jesse W. Reno, était superflue. Certains vous diront qu'ils empruntent l'escalier roulant pour en monter les marches comme dans un escalier normal et gagner encore plus de temps dans leur course contre-la-montre quotidienne, d'autres rétorqueront qu'il s'agit là simplement de leurs dernières secondes de tranquillité et d'immobilisme (si on veut) avant une dure journée de labeur.
Pourtant, si l'on observe le comportement des usagers du métro, parisien par exemple, il y a des choses flagrantes. Qui n'a jamais vu courir dans les couloirs des Parisiens trop pressés ou en retard, voulant absolument se jeter dans le train encore à quai et dont les portes sont en cours de fermeture? Pour quelques minutes plus tard perdre ce temps précieux gagné à l'arraché en se plantant sur une marche d'escalier roulant.
A l'heure où les médecins nous répètent qu'il faut marcher régulièrement, 30 minutes, voire une heure, par jour, les escaliers deviennent parfois la solution de dernier recours, l'image de l'effort physique de trop ou de notre fainéantise.
Le métro et le RER transportent chaque jour respectivement 5 millions et 1,6 million d'usagers. Ces derniers sont charriés par 520 escalators dans les 300 stations de métro que compte la capitale, même si le RER est nettement mieux équipé avec en moyenne plus de quatre escalators par station en Ile-de-France (294 machines pour 65 stations). Sans oublier 13 trottoirs roulants.
Mais se déplacer dans les couloirs des stations équivaut-il à ces minutes de marche qu'on nous recommande tant? Même si «ça compte», ce n'est clairement pas idéal. «Plus l'effort est long et constant, plus cela sera bénéfique, souligne le docteur Sylvain Emy, médecin généraliste. Il vaut mieux marcher 30 minutes d'affilée que deux fois 20 minutes par exemple.»
Comprenez que quelques marches et piétinements de début et fin de journée ne sauveront pas votre vie sportive délaissée.
«Bien sûr, emprunter l'escalier est forcément mieux que l'escalator, aux niveaux cardiaque et musculaire, mais aussi parce qu'il a le mérite de ne pas couper l'effort que l'on produit lorsque l'on marche.»
On ferait peut-être bien, donc, de suivre ces petits panneaux bleus installés un peu partout dans les rues de la capitale, qui nous incitent à utiliser nos guiboles et affichent le temps de marche pour rejoindre les sites touristiques ou très fréquentés de la ville.
Une démarche que l'on peut observer sous un prisme différent que celui du plan médical. «Les gens n'ont pas le choix, affirme Nicole Betrencourt, psychologue clinicienne. Nous vivons dans une société où le temps compte et où la vitesse est la norme.» Fini l'éloge de la paresse.
«Je vois surtout des gens excédés, parfois au bord du burn out. Je pense que prendre l'escalator constitue un moment de repos dans une journée de speed. Si les gens pouvaient se passer des transports en commun, ils le feraient. Contrairement à la voiture, on se retrouve dans l'anonymat, donc on fait comme on peut.»
Pour Nicole Betrencourt, tout ceci est en lien avec le mode de vie actuel des citadins. Elle considère les transports en commun sous deux aspects distincts, comme on peut opposer les deux visages de Janus: d'une part le respect de l'environnement et la mobilité qu'ils assurent, d'autre part «un outil redoutable pour contribuer à asservir les masses sociales».
«L'utilisation intensive des transports en commun fait que les gens deviennent usés à tous âges, crevés physiquement et mentalement. L'effort moral que l'on nous demande fait que l'on arrive à saturation.»
La «fatigue d'être soi», fait de société?
«On nous rabâche des pensées positivistes telles que “faites du sport”, “mangez bien”, “achetez des baskets pour muscler vos fesses”, “soyez heureux”, mais les gens n'écoutent pas leur corps.»
Tout cela tiendrait de la relation particulière qu'entretiennent les citadins avec le temps, à cette «course à la vitesse» évoquée par Nicole Betrencourt.
Mais si l'on profite de l'escalator comme d'un instant de répit mérité et presque obligatoire, en quoi est-ce reposant de s'entasser par dizaines sur un escalier roulant en sortant d'une rame de métro elle-même bondée?
«On se rassemble inconsciemment. C'est pavlovien. Mais au final, chacun est dans sa bulle, même s'il décide de prendre l'escalier pour respirer.»
Pavlovien ou pas, détourner la fonction première d'un lieu de passage quotidien peut cependant faire changer des habitudes. C'est le défi qu'avait lancé la marque Volkswagen avec «The Fun Theory». Sur leur site Internet, on peut en lire la description suivante: «Ce site est dédié à la pensée selon laquelle quelque chose d'aussi simple que le plaisir est la meilleure façon de changer le comportement des gens pour le mieux.» Leur équipe s'est attaquée, entre autres, à un escalier voisin d'un escalator, et donc peu fréquenté. Transformées en touches de piano géant, ses marches ont été foulées par 66% d'usagers en plus grâce à cette ingéniosité musicale.
Elodie Lécadieu