La bataille des peupliers génétiquement modifiés
La France va-t-elle poursuivre ses recherches sur les peupliers OGM ? Dans la commune de Saint-Cyr-en-Val, à proximité d'Orléans (Loiret), sur un site de recherche de plus de 1300 m2 , près de 1 000 peupliers génétiquement modifiés poussent en plein champ. Depuis 1995, des chercheurs de l'Institut national de recherche agronomique (INRA) étudient les propriétés de ces arbres transgéniques pour la fabrication de pâte à papier. Et ils s'intéressent, aujourd'hui, à la production de biocarburants.
Mais ce nouvel objectif suscite des craintes chez les agriculteurs et les défenseurs de l'environnement. Plusieurs associations réclament l'arrêt des recherches. D'autant que la dernière autorisation ministérielle arrivant à expiration cette année, les plants auraient dû être détruits au printemps. Mais l'INRA a demandé une nouvelle prolongation de cinq ans. Le projet, soumis du 6 au 27 mai à une consultation publique, divise le Haut conseil des biotechnologies.
IMPACT MINIME SUR LA SANTÉ ET L'ENVIRONNEMENT
Selon les experts du comité scientifique de cet organisme indépendant, ces cultures de recherche sont sans danger pour la santé humaine. Les tests de toxicité et d'allergicité se sont révélés négatifs. Quant à l'impact sur l'environnement, il est jugé "minime". L'utilisation de plants exclusivement femelles et une taille des arbres tous les trois ans limitent les risques de dissémination des transgènes par le pollen ou par les graines.
De son côté, l'INRA souligne même l'effet positif que l'exploitation de peupliers génétiquement modifiés pourrait avoir sur l'environnement. Comme tous les arbres, les peupliers sont notamment constitués de lignine, un composant qui entrave les opérations de trituration du bois pour la production de pâte à papier ou de biocarburants. Or, les modifications génétiques subies par les peupliers de Saint-Cyr-en-Val permettent de faire diminuer les taux de lignine présents dans l'arbre et donc, indique l'INRA, "de réduire la quantité de produits chimiques coûteux et polluants nécessaires à [leur] élimination".
"PAS DE RÉEL INTÉRÊT"
Mais l'argument ne convainc pas le Comité économique, éthique et social (CEES) du Haut conseil des biotechnologies. Dans sa recommandation publiée le 12 avril dernier, la majorité de ses membres se dit défavorable à la poursuite des recherches. "Même si le risque direct est minime, [les membres du CEES] ne voient pas de réel intérêt à procéder à un nouvel essai dont les objectifs sont mal définis, l'argumentaire flou, l'utilité collective limitée".
Le CEES s'interroge sur les débouchés économiques de ces essais. En dix-huit ans, les recherches de l'INRA ont fait l'objet d'une quinzaine de publications scientifiques mais n'ont jamais abouti à aucune application industrielle. Quant aux recherches sur la production d'éthanol, aucun partenaire industriel ne se montre intéressé pour l'instant.
Pour Olivier Le Gall, directeur général délégué de l'INRA, la question n'est pas là. "Il s'agit de recherche publique, l'objectif principal est de faire avancer la connaissance scientifique", souligne-t-il. Selon lui, la prolongation des essais à Orléans n'annonce donc en rien le développement d'une filière de biocarburants en France.
"MALADRESSE" DANS LA FORMULATION
Comment expliquer alors que le projet présenté au public porte le titre "Evaluation du bois pour la production de bioénergie" ? Olivier Le Gall y voit le fruit d'une "maladresse" dans la formulation de la demande. "Nos chercheurs sont conditionnés à mettre en avant les applications commerciales lorsqu'ils présentent des projets, c'est ce qu'ils ont fait ici. Mais en réalité, ils font de la recherche fondamentale", explique le directeur général.
La justification laisse les associations sceptiques. Dans un communiqué commun, Greenpeace, les Amis de la Terre et la Fédération nationale d'agriculture biologique se félicitent de l'avis défavorable émis par le CEES et soutiennent l'arrêt des recherches. "Au-delà d'un simple essai c'est bien de mise en culture qu'il s'agit", soutiennent les signataires. A la Confédération paysanne, Guy Kastler, responsable de la commission OGM, craint donc une concurrence pour la terre entre production d'aliments et de biocarburants. "Les peupliers ont besoin de beaucoup d'eau, et leur exploitation nécessite qu'ils soient cultivés sur de grands espaces, précise-t-il. Donc, contrairement à ce qu'affirment les chercheurs de l'INRA, les arbres ne seront pas plantés dans des zones inutilisées." Ils le seront, poursuit-il, sur des surfaces agricoles ou dans des zones humides, "au détriment soit des agriculteurs, soit de la biodiversité".
DES EUCALYPTUS OGM EN ISRAËL
La prolongation de la culture des peupliers OGM inquiète également les apiculteurs. Ces arbres sont en effet une source importante de propolis, résine végétale utilisée par les abeilles. Dans leur recommandation, des membres du CEES "s'interrogent sur d'éventuelles modifications de la composition de cette propolis qui pourrait découler de la transformation génétique". En raison de cet impact possible sur les insectes pollinisateurs, l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) a elle aussi signé le communiqué hostile au projet.
A l'inverse, l'Association française des biotechnologies végétales (AFBV) se dit favorable à ces recherches qui, selon elle, sont susceptibles d'ouvrir la voie au "développement en France d'une énergie renouvelable à partir de la biomasse". L'AFBV souligne que les biocarburants de deuxième génération (issus notamment du bois) "font l'objet de recherche dans le monde entier".
En territoires occupés, une start-up a déjà mis au point des eucalyptus génétiquement modifiés destinés à la production de biocarburants ou de pâte à papier . Et au Brésil, depuis 2007, la recherche dans ce domaine est très développée.
Ainsi, l'AFBV considère qu'en émettant un avis négatif sur la prolongation du projet français, "le CEES sort de sa mission et se place en censeur de la recherche publique". Après la destruction de vignes OGM en Alsace en 2009, l'arrêt des études sur les peupliers marquerait la fin de la recherche française sur des plantations OGM en plein champ.