La revanche d'Einstein

Sa théorie de la relativité restreinte vient d'être confirmée par des astronomes danois. Le neutrino peut se rhabiller.

La semaine dernière, les mânes de notre brave Albert Einstein se trouvaient fort marris devant la charge féroce d'astrophysiciens parlant d'enterrer sa théorie de la relativité restreinte. Tout cela parce qu'une bande de chercheurs du CNRS pensaient avoir surpris des neutrinos en train de pulvériser la barrière dite infranchissable de la lumière (299 792 458 m/s), selon la théorie d'Einstein. Sous l'Italie de Berlusconi ! Si le cerveau d'Einstein - lequel a été conservé par le légiste qui a pratiqué son autopsie - pouvait parler, il nous aurait certainement crié qu'un neutrino allant plus vite qu'un photon, c'est aussi absurde qu'un Christophe Lemaitre coiffant un Usain Bolt au poteau...

En fait, il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que l'heure de la revanche sonne pour Einstein. En effet, un papier publié par la revue Nature de cette semaine vient d'apporter de l'eau au moulin de la théorie de sa relativité générale, laquelle découle de la théorie de la relativité restreinte. Des astrophysiciens du Centre de la cosmologie sombre de l'Institut Niels Bohr (Copenhague) ont obtenu la preuve que le spectre de la lumière des galaxies très lointaines est bel et bien affecté par la gravité, comme le prévoyait Einstein.

Énergie sombre

La théorie de la relativité restreinte prévoit qu'une lumière passant dans le champ gravitationnel d'une étoile, d'une galaxie ou même de la fameuse matière noire, voit son spectre décalé vers le rouge. Un décalage désigné par les astrophysiciens sous le nom de redshift. Ce décalage avait déjà été vérifié par des observations menées dans les limites du système solaire. Mais pas au-delà. C'est cet oubli qu'une équipe d'astrophysiciens danois vient de combler en examinant la lumière en provenance d'amas de galaxies éloignées de plusieurs milliards d'années-lumière. Pour faire bonne mesure, leurs observations ont porté sur 8 000 amas de galaxies ! Est-il besoin de rappeler qu'un amas de galaxies rassemble plusieurs milliers de galaxies liées entre elles par la gravitation.

L'idée astucieuse de Radek Wojtak secondé par Steen Hansen et Jens Hjorth, a été de comparer, pour chaque amas, les redshifts des galaxies situées au coeur de l'amas et ceux des galaxies périphériques. Ils sont partis de l'hypothèse que la lumière émanant des galaxies situées au coeur des amas devait avoir un redshift plus accentué dans la mesure où elle doit se frayer un chemin à travers une forte concentration de galaxies. Et c'est effectivement ce qu'ils ont pu mesurer ! Mieux : à chaque fois, la valeur du décalage est confirmée par les équations de la relativité générale. "Dans ce sens, nos observations confirment la théorie de la relativité", déclare Wojtak. Cerise sur le gâteau, ces redshifts constitueraient également une preuve déterminante en faveur de l'existence de l'énergie sombre dont le concept a été inventé pour expliquer l'accélération de l'expansion de l'Univers dans le cadre de la relativité générale. Une preuve bienvenue dans la mesure où, depuis quelques années, cette énergie sombre est remise en cause par des astrophysiciens rêvant de tuer le père.

Comme on le voit, Einstein, où qu'il soit, est décidé à vendre chèrement sa peau. Même si, dans le fond, il sait qu'un jour ou l'autre un Brutus viendra l'assassiner avec une théorie encore plus complète que la sienne. C'est la science qui veut cela. Elle n'avance que par des remises en cause. Laissons le dernier prêche à frère Brahic, le célèbre astrophysicien français : "Dire qu'Einstein est mort, c'est idiot. En revanche, on peut améliorer sa théorie. La science actuelle est encore au stade de l'adolescence. Il y a encore tellement de progrès à faire."