Le bug des rayons N
En 1903, René Blondlot (1849-1930), professeur à l'université de Nancy, fait une annonce extraordinaire : la découverte des rayons N. Cela suit de près la découverte des rayons X par Wilhelm Röntgen. Blondlot essaye de polariser ces derniers et découvre qu'une nouvelle forme de radiation rend plus brillante une étincelle située sur son chemin. Il s'ensuit une série d'expériences qui mettent en lumière des caractéristiques étranges. Par exemple, presque tous les matériaux émettent ces nouveaux rayons, à la notable exception du bois vert. Blondlot voit le couronnement de sa carrière, obtient le prix de l'Académie des sciences, peut espérer le prix Nobel.
Seul hic, les plus grands scientifiques français et étrangers n'arrivent pas à reproduire ces résultats. La controverse enfle, jusqu'au jour où la revue Nature dépêche à Nancy le physicien américain Robert Wood. Celui-ci démonte facilement l'erreur. Il profite d'un moment d'inattention et retire de l'appareillage une pièce d'aluminium, censée dévier les rayons mystérieux jusqu'au dispositif de détection. Malgré cela, les expérimentateurs observent encore l'effet ou plutôt croient l'observer. Depuis, les rayons N ont disparu de l'atlas de la physique pour trouver place dans l'histoire des erreurs scientifiques. Il peut y avoir en effet chez les chercheurs une propension, consciente ou pas, à un certain résultat. Blondlot et ses collaborateurs, en toute bonne foi, auraient ainsi été victimes d'une autosuggestion qui les portait à voir ce qui n'existait pas.
On peut penser que la méthode scientifique et les précautions des expérimentateurs ont bien progressé, au point que ces erreurs sont un souvenir lointain. Toutefois, en 1989, la découverte de la "fusion froide" faisait la "une" des journaux et semblait ouvrir la voie vers une source d'énergie pratiquement inépuisable. Des dizaines d'équipes avaient même reproduit, au moins partiellement, ces résultats. Las, la fusion froide doit être rangée sur la même étagère que les rayons N !
Il ne faut pas en conclure que tous les chercheurs sont naïfs. Il est normal que des expériences toujours à la limite de ce que nos instruments peuvent révéler soient troublées par des effets parfois mal compris ou mal maîtrisés. Pour les éviter, on utilise des méthodes astucieuses, comme les mesures en aveugle : l'expérimentateur, avant de prendre connaissance du résultat de la mesure, prépare son protocole d'observation jusqu'à avoir garanti le contrôle le plus efficace sur les effets de l'instrument. Seulement ensuite il "ouvre la boîte" et effectue sa mesure.
Dans tous les cas, nous devons toujours prendre nos mesures avec la plus grande précaution et la plus grande méfiance. La leçon à en tirer est que la science est une aventure collective. Aucune découverte ne sera jamais reconnue comme telle si vos collègues, y compris vos détracteurs, n'arrivent pas à la reproduire dans leurs laboratoires - encore mieux, avec des méthodes et des instruments différents.
L'année qui vient de s'écouler a été riche en annonces scientifiques, notamment en physique des particules, concernant le neutrino et le boson de Higgs. Dans certains cas, il s'agit d'indications plutôt que de découvertes. Ne vous étonnez donc pas si certaines indications ne sont pas confirmées. Dites-vous simplement que les chercheurs ont fait leur travail et séparé les découvertes des vrais "bugs".
Marco Zito est physicien des particules au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Marco Zito