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Publié par Scientifique

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Ce qui est vrai pour une bactérie le sera-t-il pour l'espèce humaine ? Actuellement, rien ne permet de le savoir. Mais une étude française démontre, in vivo, que l'augmentation de la teneur de l'atmosphère en gaz carbonique (CO2) renforce les effets délétères du stress oxydant sur la bactérie Escherichia coli. L'équipe de Sam Dukan (CNRS, Institut de microbiologie de la Méditerranée, Marseille) présente ces résultats nouveaux et peut-être inquiétants dans un article publié, vendredi 25 février, dans la revue EMBO reports.

 

Le stress oxydant désigne les lésions induites sur les cellules par des composés oxygénés, appelés "formes réactives de l'oxygène" (FRO). Ils sont le résultat des étapes de la réduction complète d'une molécule d'oxygène (O2) en une molécule d'eau (H2O). L'oxygène est, en effet, très réactif vis-à-vis des molécules ayant des électrons libres.

Les FRO sont donc produits dans l'organisme par l'action de facteurs aussi divers que la respiration cellulaire normale, mais aussi la pollution de l'air, la fumée de cigarette, certains produits chimiques, les additifs alimentaires, etc.

Les FRO jouent un rôle dans les défenses anti-infectieuses et constituent un médiateur de l'inflammation. Mais ils sont également impliqués, à des degrés divers, dans les mutations génétiques, le processus de cancérisation, ou l'oxydation des protéines qui participe aux phénomènes du vieillissement.

L'équipe de Sam Dukan s'est intéressée, depuis 2005, aux liens pouvant exister entre le gaz carbonique et le stress oxydant, en particulier aux effets susceptibles d'être induits par une élévation de la concentration de CO2 dans l'air. La concentration de référence actuelle en CO2 de l'atmosphère est de 389 ppm (parties par million, soit 0,039 %). Un niveau supérieur de 37 % à ce qu'il était en 1839. Les projections tenant compte de l'effet de serre et du changement climatique laissent penser que cette concentration pourrait grimper à 1 000 ppm (0,1 %) en 2100.

L'absence de données sur les effets biologiques d'une telle modification a motivé la mise en place, par les chercheurs marseillais, d'une expérimentation. Pour ce faire, ils ont utilisé un organisme unicellulaire, la bactérie Escherichia coli, et ont fait réaliser, par la société Jacomex, une "boîte à gants" : une enceinte pourvue de manchons dans lesquels les scientifiques passent leur bras pour réaliser, sans contact direct, leurs manipulations. Ce confinement permet de faire varier la concentration de CO2, sans affecter la concentration en oxygène. Ce dispositif peut donc reproduire en laboratoire l'atmosphère du passé, celle de nos jours et celle qui pourrait exister à la fin du XXIe siècle.

Les chercheurs ont placé dans cette enceinte des boîtes de Petri contenant un milieu de culture et y ont déposé de l'eau oxygénée, que les chimistes désignent sous le nom plus savant de peroxyde d'hydrogène (H2 O2), l'une des formes réactives bien connues de l'oxygène. Après un temps nécessaire pour que l'atmosphère dans le milieu de culture se soit équilibrée avec celle de l'enceinte, ils y ont déposé les bactéries.

"Nous avons ensuite regardé combien de bactéries survivaient à ce stress oxydant selon la teneur en CO2 de l'atmosphère, explique Sam Dukan. Nous avons constaté que la fréquence des mutations génétiques et des lésions de l'ADN, ainsi que la mortalité, augmentaient avec des concentrations croissantes de gaz carbonique."

Cette augmentation n'est toutefois pas linéaire : "Elle est forte lorsque l'on passe de 40 ppm à 300 ppm ; elle n'est pas aussi marquée entre 300 ppm et 1 000 ppm, mais reste statistiquement significative", précise le chercheur. En revanche, la seule exposition à une atmosphère ayant une plus forte teneur en CO2, sans stress oxydant, ne provoque aucune lésion génétique et cellulaire.

Le gaz carbonique n'aurait donc aucun caractère délétère à lui seul. Mais il renforcerait les effets négatifs du stress oxydant, dans ce modèle bactérien.

Au cours de cette première étude, l'équipe de Sam Dukan s'est plus particulièrement intéressée à l'un des radicaux libres formé par l'interaction entre le CO2 et les FRO, le radical carbonate. Cette interaction avait déjà été mise en évidence in vitro. "Le radical carbonate réagit particulièrement avec l'une des bases de l'ADN, la guanine. Cela permet d'évaluer les dommages infligés à l'ADN et la fréquence des mutations, en dosant l'oxydation qui s'est produite au niveau de la guanine, un dosage facile à réaliser", indique Sam Dukan.

Spécialisée dans les liens entre stress génotoxique et cancer, l'équipe de Mounira Amor-Guéret (Institut Curie/CNRS, UMR 3 348) estime que cette publication démontre "un réel rôle aggravant du CO2 sur les effets du stress oxydant". "Elle a de plus le mérite d'ouvrir un champ d'investigation et d'apporter des données qui manquaient sur les éventuels effets biologiques de l'effet de serre", commente Mounira Amor-Guéret. La chercheuse estime cependant qu'il faut être extrêmement prudent dans l'interprétation et, surtout, dans l'extrapolation de ces résultats à d'éventuels effets chez l'homme.

Pour aller plus loin, il serait nécessaire de reproduire des conditions de stress oxydant similaires à celles de la vie réelle et d'évaluer dans quelle mesure les lésions cellulaires sont alors majorées par un accroissement de la concentration atmosphérique en CO2. "Les bactéries ont été exposées à des quantités importantes de peroxyde d'hydrogène, ce qui n'est pas totalement équivalent au stress oxydant tel qu'il se produit dans des conditions naturelles", souligne Mounira Amor-Guéret.

De même, une situation de stress oxydant demeure une condition indispensable pour qu'apparaissent des mutations et des lésions cellulaires et, à elle seule, une élévation de la teneur en CO2 de l'atmosphère ne suffirait pas à déclencher ce processus biologique, rappelle la chercheuse.

Sam Dukan partage cette prudence : "Nous n'avons pas encore expliqué comment la hausse de la teneur en CO2 augmentait la fréquence des mutations et des lésions de l'ADN produites par le stress oxydant. Pour le comprendre, nous allons analyser les modifications de l'expression des gènes de la bactérie, qui diffère selon la concentration en CO2 de l'atmosphère."

De plus, les chercheurs devront bien évidemment regarder ce qui se produit avec des organismes plus évolués que la bactérie ou même la levure, avec laquelle une autre expérimentation, non encore publiée, a abouti aux mêmes résultats, indique Sam Dukan. "Notre objectif est de déterminer le rôle que jouerait la concentration atmosphérique en CO2 dans l'inflammation, les maladies neurodégénératives et les métastases des cancers. Jusqu'ici nous n'avions pas obtenu de financements du CNRS ou de l'Agence nationale de la recherche", regrette-t-il. Le chercheur espère, grâce à ces premiers travaux, une évolution positive sur ce point.

 

Paul Benkimoun

 

LeMonde.fr

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