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Publié par Scientifique

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Tomber. Choir. Chuter… Des verbes d’une banalité extrême que nous prononçons sans, la plupart du temps, nous demander: «Pourquoi?» Et si, d’aventure, la question nous traverse l’esprit, nous pensons aussitôt que les physiciens, eux, savent.

Pensez donc! Newton n’a-t-il pas, certes avec l’aide non négligeable de la Rubrique-à-brac de Gotlib, pour ceux qui s’en souviennent, laissé une trace dans l’histoire grâce à la chute d’une pomme?

Quelques siècles plus tard, Einstein n’est-il pas devenu célèbre grâce à sa théorie de la relativité, qui n’est autre qu’une nouvelle théorie de la relativité? Les plus grands noms de la physique se sont penchés sur cette force qui nous attire irrésistiblement vers la Terre et qui est responsable de l’éclatement en mille morceaux des verres lorsqu’ils terminent leur chute sur un sol dur. Une force qui explique aussi pourquoi la Lune reste toujours là, dans le ciel au dessus de nos têtes, sans pouvoir se libérer de l’attraction de notre planète. S’il est donc un phénomène sur lequel la science doit tout savoir, c’est bien la gravité.

Impensable d'imaginer que nous ne saurions pas pourquoi et même comment deux corps s'attirent. Par quel phénomène l'un peut-il agir sur l'autre à distance? Sans contact... Comment se transmet cette force titanesque capable de faire tourner tous les astres d'un même système autour de leur étoile? Qui provoque des marées sur Terre à cause de la simple présence de la Lune? Et qui nous tient coller au plancher des vaches sans espoir de lui échapper? Peut-on imaginer que nous ne sachions pas tout sur une force qui régit tout ce que nous voyions dans l'univers et que ressentons à chaque instant de notre vie quotidienne?

En fait, oui, il faut l'imaginer... La plupart du temps, lorsque nous parlons de la science, c’est pour révéler une nouvelle découverte des chercheurs. Chaque pas en avant de la connaissance nous émerveille à juste titre.

Mais lorsque nous posons la question à l’envers, le résultat est parfois bien différent. Lors de l’émission Science publique du 17 mai 2013 sur France Culture, nous avons tenté un tel retournement interrogatif: «Que savons-nous sur… la gravité?» Le résultat a dépassé mes espérances… en matière de révélation des limites de nos connaissances.

Quatre forces fondamentales

Parmi les quatre forces fondamentales qui régissent l’univers, les interactions nucléaires fortes et faibles, l’interaction électromagnétique et la gravitation, cette dernière est la seule à faire bande à part. Une sur quatre, tout de même.

Les trois premières s’inscrivent dans le fameux modèle standard qui régit la physique des particules. On y trouve deux familles: les fermions, qui sont des particules, et les bosons, qui constituent les supports de chacune des trois forces. Le boson de Higgs, lui, a charge de conférer leur masse aux autres particules.

Pour que la gravitation rejoigne la famille du modèle standard, il faudrait lui trouver une particule: les physiciens lui sont déjà donné un nom, le graviton. Problème: personne n’a jamais pu le détecter ou l’observer… Il se trouve donc dans la situation occupé par le boson de Higgs pendant une soixantaine d’années avant que, en juillet 2012, les physiciens du Cern ne parviennent enfin à le débusquer grâce à la puissance du LHC.

Cela n’empêche pas les physiciens de disposer de théories pour décrire l’action de la gravitation sur l’univers. Après les avancées fulgurantes de Newton, Einstein a brillamment pris le relais avec la théorie de la relativité, qui n’est autre qu’une nouvelle théorie de… la gravitation. Ses équations décrivent parfaitement le mouvement des planètes dans le système solaire et même dans notre galaxie et à l’intérieur des autres galaxies.

Vide entre les modèles

Mais, dès que l’on considère l’univers dans son ensemble, cela ne marche plus. Pour rendre compte de l’expansion accélérée, il faut imaginer une force gravitationnelle répulsive et non attractive… Pour s’en sortir, les physiciens ont inventé le concept d'énergie noire.

De même, à la périphérie des galaxies, les étoiles tournent beaucoup trop vite par rapport à leur distance au centre de ces galaxies. Pour expliquer cette anomalie, les physiciens ont inventé la matière noire, dont l’existence, jusqu’à présent invisible, permettrait de conserver les équations actuelles. La plupart des physiciens s’accrochent à ces «explications». Certains doutent ou n’y croient pas et pensent qu’il faut, une fois de plus, revoir la théorie de la relativité générale pour expliquer ces phénomènes incompréhensibles.

Nous avons donc, d’un côté, le modèle standard, qui décrit l’infiniment petit et qui vient d’être conforté par la découverte du boson de Higgs. De l’autre, la théorie de la relativité d’Einstein, qui explique l’infiniment grand grâce à une nouvelle conception de la gravité et qui est confrontée à des problèmes aux échelles extrêmes de l’univers. Mais entre les deux: rien. Ou presque.

Dans les années 1970 est apparue la théorie des cordes, qui promettait de réconcilier les deux pans disjoints de la physique. Plus de quarante ans plus tard, force est de constater que l’union des physiques, quantique et gravitationnelle, reste très hypothétique. La théorie des cordes, si elle prédit l’existence du graviton, a besoin d’une dizaine de dimensions de l’espace…

Gabriele Veneziano, l’un des tout premiers fondateurs de la théorie des cordes, à qui nous exprimions, un collègue du Monde et moi, notre difficulté à imaginer autant de dimensions, nous a répondu: «Oui, mais certaines sont très petites… » Cela ne nous a guère aidés…

Pas de vérification expérimentale

La théorie des cordes se heurte à une difficulté majeure: l’impossibilité, pour l’instant, de vérifier expérimentalement ses prédictions. Or, en science, une théorie n’a de valeur reconnue que lorsque qu’une expérience a permis de la confirmer. C’est ce qui se passe à Genève avec le boson de Higgs. Et le prix Nobel ne pourra couronner Peter Higgs et ses collègues qu’après cette vérification expérimentale.

Avec la théorie des cordes, il semble improbable de pouvoir dépasser la construction intellectuelle. Certains la qualifient même de philosophie plus de que science. La signature du traité de réconciliation des deux physiques n’est donc pas pour demain. 

Ainsi, la gravité nous échappe tout autant que nous la ressentons. Le domaine de la physique, qui a fait l’objet des avancées théoriques les plus brillantes au cours des derniers siècles, reste obstinément incompatible avec la grande découverte du XXe siècle: la mécanique quantique. Près de 350 ans après son écriture, la célèbre phrase de Pascal parlant de l’homme face aux deux infinis reste encore au moins à moitié valide:

 «Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.»

M.A.

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