Peut-on se passer des cellules souches?
Des scientifiques français sont sur la voie d'un traitement contre une maladie orpheline grâce aux cellules souches embryonnaires - au moment même où le Sénat révise la loi bioéthique...
Marc Peschanski peut se réjouir. Le directeur de recherche de l'Inserm et de l'I-stem se désolait de la tournure qu'avait prise la révision de la loi sur la bioéthique, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale. La loi française interdit en effet la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais elle autorise des exceptions au cas par cas, pour les expérimentations "susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs", précise le texte. "Nous voulions que le terme 'majeur' soit remplacé par 'médical', ce qui aurait ouvert les possibilités de recherches, argumente le médecin. Mais des députés liés aux catholiques conservateurs s'y sont opposés et ils ont obtenu un renforcement des contraintes."
Selon le scientifique, le texte aurait obligé les chercheurs à prouver qu'ils ont épuisé tous les autres moyens possibles avant de pouvoir recourir aux cellules souches embryonnaires. "Un gouffre financier et une perte de temps phénoménale, qui déguise à peine une interdiction pure et simple", s'agace Marc Peschanski. Or, le Sénat a modifié le texte en commission, mercredi, et il a opté pour le modèle d'autorisation réglementée demandée par la communauté scientifique. Cette modification doit encore être approuvée par l'ensemble des sénateurs.
Des études fructueuses
L'équipe que dirige le médecin à l'Inserm doit précisément sa dernière découverte à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Elle a réussi à identifier de nouveaux mécanismes d'une maladie orpheline, la dystrophie myotonique de Steinert pour, peut-être, parvenir à un premier traitement.
"Les muscles des patients atteints de cette maladie ne se relâchent pas assez vite, explique le chercheur. C'est un lourd handicap." La maladie touche quelque 3 000 personnes en France. Pour mieux en comprendre les rouages, l'équipe de Marc Peschanski a "récupéré" des embryons malades auprès de couples atteints qui veulent mettre au monde des enfants sains et qui pratiquent pour cela un diagnostique pré-implantatoire (DPI).
Les cellules souches n'étant pas encore spécialisées, les chercheurs peuvent les orienter comme ils le souhaitent. "De cette manière, nous avons repéré deux gènes qui s'exprimaient anormalement, déchiffre Marc Peschanski. Alors qu'ils sont censés faire le lien entre le nerf et le muscle, commandant la contraction de ce dernier, ces gènes sont inefficaces." L'expérience a permis de lier précisément ces gènes et la maladie. Et relance l'espoir de trouver un traitement.
Différents types de cellules souches
"C'est la première fois que la recherche sur des cellules souches embryonnaires met en évidence de nouveaux mécanismes pour une maladie rare. Nous n'aurions pas pu faire autrement." Marc Peschanski est catégorique. Et il explique. Les cellules souches embryonnaires peuvent proliférer à l'infini et se transformer en n'importe quelle autre cellule (cardiaque, musculaire, cutanée...). Jusqu'à une date récente, pour en obtenir, des laboratoires prenaient des cellules spécialisées chez des adultes et les modifiaient génétiquement. Elles redevenaient alors des cellules souches, sans aucune spécialisation. Mais cette opération de "déprogrammation" laissait de traces et créait des anomalies cellulaires.
"Comment savoir, quand on observait des mutations, si c'était bien le gène ou une anomalie de la cellule ?", résume le scientifique. Seule solution pour contourner cette difficulté dans le cas de la dystrophie myotonique: avoir recours aux cellules souches embryonnaires, celles qui soulèvent le débats et les questions éthiques puisqu'elles sont obtenues en détruisant des embryons dans les tout premiers stades de leur existence, entre le 5ème et le 7ème jour. "Nous n'avons rien d'autre d'aussi efficace", affirme le médecin.
Une évolution de la loi sur la bioéthique
Selon Marc Peschanski, la loi actuelle est hypocrite: pour les utiliser correctement, il faut comprendre le fonctionnement des cellules souches, ce qui relève de la recherche fondamentale. Or, la législation française l'interdit strictement. "Nous sommes donc obligés de faire de la recherche fondamentale sans la présenter comme telle", conclut le médecin.
Les voeux des scientifiques semblent avoir eu un écho chez les sénateurs qui ont autorisé, en commission, la recherche sur l'embryon sous conditions. Le projet de révision n'a toutefois pas encore été voté par l'ensemble du Sénat et il doit retourner à l'Assemblée nationale pour une deuxième lecture. Rien ne garantit que la modification initiée par les Sénateurs se retrouvera dans la version définitive de la loi.