Plier des origamis sans les doigts
Coup sur coup, deux équipes ont présenté deux méthodes originales pour transformer des surfaces tristement plates en volumes bien dodus à la manière des plieurs d'origami, mais sans utiliser les mains. Les feuilles se plient toutes seules !
L'équipe de l'université Paris-Diderot explique dans Physical Review Letters du 11 novembre comment une goutte liquide et un champ magnétique peuvent courber une membrane apparentée à la silicone. En 2007, ce groupe avait déjà démontré comment créer une pyramide à trois faces à partir d'une surface plane, en y déposant simplement une goutte en son centre. Par capillarité, la goutte "tire" sur les feuilles afin de s'en envelopper totalement, construisant ainsi quasi instantanément un objet pyramidal pointant vers le haut.
Dans la nouvelle expérience, la goutte liquide est désormais sensible à l'application d'un champ magnétique grâce à des particules magnétiques dissoutes en son sein. Ce ferrofluide se déforme dans le sens du champ appliqué. Sans champ, la capillarité l'emporte et les côtés de la pyramide commencent à se dresser. Puis, lorsque le champ magnétique est appliqué verticalement, la goutte aussi tente de grimper, s'opposant au rapprochement des pointes des triangles au sommet. Et si l'intensité du champ magnétique augmente encore, l'édifice en construction bascule soudainement, la base se retrouvant sur un côté et la goutte montant en pointe. Cette instabilité était inattendue et ouvre des perspectives pour des changements de conformation rapides et brutaux.
Des chercheurs de l'université de Caroline du Nord ont imaginé dans la revue Soft Matter du 10 novembre une tout autre approche. C'est une lampe à infrarouge qui sert à plier une feuille en un cube parfait sans contact. Ils partent d'un patron plat en polymère en forme de croix comportant les six faces carrées du futur cube. Au niveau des cinq "charnières", ils déposent de l'encre noire à l'aide d'une imprimante à jet d'encre. Puis ils éclairent et observent la formation spontanée de leur cube. En fait, comme la lumière est plus absorbée par l'encre que par le polymère, la portion située sous l'encre chauffe plus et se ramollit. Cela conduit à la "fermeture" de la charnière. En fonction de la largeur du dépôt d'encre, l'angle de pliage peut être ajusté pour correspondre aux 90 degrés d'un cube ou aux 120 degrés d'une pyramide. En déposant de l'encre alternativement sous et sur le polymère, la feuille peut aussi se plier en accordéon.
La simplicité et l'élégance des deux méthodes ne devraient pas remplacer les plieurs professionnels, qui ont de toute façon des longueurs d'avance dans la complexité sur ces physiciens. Mais ces autoassemblages d'objets tridimensionnels pourraient intéresser les ingénieurs en micromécanique en quête d'interrupteurs, de balanciers ou autre actionneurs délicats à fabriquer à ces échelles.