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Publié par Scientifique

http://www.slate.fr/sites/default/files/imagecache/node-story/piles-reuters.jpg

 

Ce n'est pas parce qu'elles ne permettent plus à votre appareil photo de fonctionner qu'elles ne sont plus bonnes à rien.

Je ne sais pas pour vous, mais plus les années passent, et plus je consomme de piles. Il m'en faut pour mon appareil photo et mes télécommandes; les manettes des consoles de jeu; les montres, les radio-réveil (c'est plus prudent en cas de coupure de courant), le thermostat de la chaudière, mais aussi la souris sans fil de mon ordinateur; sans oublier le micro HF de ma caméra professionnelle ou encore sa «minette» (petit éclairage). Et encore, j'ai rapidement troqué le clavier bluetooth fourni en série avec mon iMac pour son équivalent filaire: il était décidément bien trop gourmand! Bref, il ne se passe pas deux semaines –au grand maximum– sans que je ne sois obligée d'aller puiser dans mes réserves pour ranimer l'un ou l'autre de ces appareils en panne de jus. Pour mémoire: en France, 33.353 tonnes de piles et accumulateurs portables ont été déclarées mises sur le marché en 2012, selon l'Ademe.

 

Sauf que ces petis engins ne sont tout de même pas très écologiques. C'est d'ailleurs pourquoi ils font l'objet d'un recyclage spécifique.  Mais comment donc réduire le tas d'AA et d'AAA que je rapporte régulièrement dans mon magasin préféré?

 

Bien sûr, j'ai essayé les accumulateurs, autrement dit, les piles rechargeables. J'ai même lu, il y a quelques temps, un banc d'essai publié par la revue Que Choisir sur le sujet. Instructif, sauf que: j'ai beau équiper mon appareil photo des accus parmi les mieux cotées du classement, ils me lâchent bien plus vite que les piles alcalines jetables. Très irritant lorsqu'on se trouve en pleine visite touristique et que, manque de chance, les autres piles rechargeables prises en réserve se sont déjà largement auto-déchargées... C'est un fait: les piles rechargeables ont leurs caprices (l'auto-décharge, l'effet «mémoire»...), même s'ils sont aujourd'hui bien moins flagrants qu'hier, et elles conviennent plus ou moins bien à certains usages. Elles fonctionnent correctement dans les manettes de jeu, ou dans ma souris sans fil, mais elles ne font donc pas long feu dans mon appareil photo.

Alors, j'ai décidé de me pencher sur la question. Histoire de comprendre un peu le pourquoi du comment. Tout d'abord, j'ai pris un voltmètre.

 

 

Que j'aie un tel appareil à la maison a bien fait rire chez Slate, mais il se trouve que je compte quelques scientifiques dans mon hérédité. Et ils m'ont assuré que si le jeu n'en valait pas forcément, financièrement, la chandelle –ceci dit, on trouve désormais des petits appareils à une quinzaine d'euros–, j'aurais au moins la satisfaction de gérer mes piles avec un peu plus de doigté.

 

Après moult mesures, je suis effectivement arrivée à quelques constatations: lorsque mon appareil photo succombe faute d'alimentation, mes piles alcalines affichent encore une tension de 1,4 volt. A peine moins donc que leur tension initiale de 1,5 volt!

 

Ceci dit, si 1,4 volt, c'est trop peu pour prendre des photos, cela suffit largement à satisfaire ma souris sans fil, qui, elle, accepte mes AA jusqu'à ce que leur tension tombe à environ 1 volt.  En dessous, en revanche, c'est direction le recyclage.

 

Soit. Mais le voltmètre en revanche, ne m'éclaire absolument pas sur le fonctionnement des accus rechargeables: ceux-ci, en effet, ne produisent, même chargés à bloc, qu'une tension de 1,2-1,3 volt. Aucune arnaque: c'est clairement écrit sur leur emballage.

 

La tension des AA rechargeables, autrement dit, plafonne à environ 200 mV de moins que les alcalines. Il n'est donc pas surprenant qu'elle n'arrivent pas tout à fait aux mêmes performances. Et pourtant: avec leur «seulement» 1,2 volt, elles arrivent quand même à alimenter mon appareil photo (même si c'est pour peu de temps), quand, à tension comparable, mes alcalines, elles, n'arrivent même pas à l'allumer.

 

Conclusion: le voltage ne suffit pas à m'informer sur la capacité et l'usure de mes batteries.

 

Je suis persuadée que certains lecteurs de Slate connaissent déjà toutes les réponses à mes interrogations, mais j'ai pour ma part préféré tout reprendre tout à zéro: je suis tout simplement allée demander des explications à un professeur de physique-chimie, Pierre-Mathieu Demizieux, qui enseigne au collège Aimé-Césaire de Villejuif (94).

1. Le voltmètre ne dit pas tout

La tension, en effet, ne révèle rien de la capacité d'une pile ni même nécessairement de son usure. Pierre-Mathieu Demizieux:

«Le voltmètre rend compte de la tension, et la tension, c'est la force qui attire les électrons dans le circuit électrique. Tout comme la carotte donne envie aux lapins de sauter de l'autre côté d'un grand trou. Mais l'envie des lapins ne dit rien sur leur capacité à sauter, ni la tension de la pile sur sa capacité à fournir une certaine intensité électrique.»

2. Une question de charge

L'autre notion importante, c'est donc la charge de la pile, autrement dit, le nombre d'électrons qu'elle est capable de délivrer, au total. Elle se mesure en Ampère-heure –ou, plus fréquemment, en milliampère-heure (mAh). La plupart des piles rechargeables de format AA affichent entre 2.100 et 2.500 mAh, avec un maximum à 2.700, contre 2.800 pour les alcalines. Rien d'étonnant donc à ce que les alcalines durent plus longtemps: elles sont plus chargées.

3. L'intensité

Mais un troisième élément rentre en ligne de compte: l'intensité, autrement dit, le nombre d'électrons qui en sortent chaque seconde pour se ruer dans le circuit électrique. Elle se mesure en ampères ou en  milliampères. Elle dépend de ce que l'appareil branché sur le circuit viendra demander à la pile.

Pour revenir à nos lapins:

  • la charge, c'est leur musculature
  • la tension, c'est l'envie qu'ils ont d'aller dévorer une carote
  • l'intensité, c'est la puissance musculaire qu'ils devront déployer pour sauter par dessus le trou. Elle dépend donc de la taille du trou.

 

L'autonomie d'une pile dépendra donc de sa charge en mAh, de la puissance de  l'appareil qu'elle alimente (en watts) et de la tension du circuit d'alimentation: pour alimenter pendant une heure une lampe de 3 W avec une tension de 3 volts (deux piles AA), il faudra que la pile fournisse une intensité de 1 ampère. Les deux piles AA (qui ont donc une charge initiale de 2.800mAh) pourront  donc théoriquement durer pendant un peu moins de trois heures. 

Théoriquement.

 

Car plus les piles se déchargent –plus leur charge en mAh diminue–, et plus leur résistance interne augmente. La résistance interne n'est pas une résistance au sens électrique du terme, mais la difficulté pour les électrons qui restent de sortir de la pile pour alimenter le circuit électrique. Grosso modo, plus la pile est usée, et plus il leur est compliqué de se frayer un chemin. Les derniers lapins qui sortent du terrier sont les plus vieux, et ils ont bien du mal à sauter pour aller dévorer leur carotte.

 

 

Le problème pour le consommateur, c'est qu'il ne peut pas, avec un appareil simple, mesurer l'intensité sortant de ses piles, la charge restante et encore moins leur résistance interne. Parfois, la baisse de tension est un bon indicateur –notamment pour le piles alcalines– mais pas toujours. Sophie Mailley, experte du sujet au CEA (Commissariat à l'Energie atomique), explique:

«Dans d'autres cas en revanche –par exemple certaines piles "bouton"– la tension est très stable entre 100% et 20% de charge. Auquel cas il n'y a pas de moyen simple d'estimer la capacité restante.»

Rajoutez à cela que certains appareils alimentés ont des bornes de tension limite en deçà de laquelle ils ne fonctionnent plus: autrement dit, mes piles peuvent avoir encore une capacité importante, si leur tension est trop faible, mon appareil photo refusera de s'allumer. 

 

Au final, bien des piles finissent au recyclage (ou plutôt, dans 65% des cas, à la poubelle!) alors qu'elles sont encore passablement chargées. Certains estiment qu'en moyenne, les piles jetées au recyclage stockent encore 1/3 de leur énergie initiale. D'où l'intérêt, malgré tout, de mon petit voltmètre: il ne dit certes pas tout, mais il m'aide à transférer judicieusement mes piles un peu usées vers des appareils un peu moins gourmands et donc à les faire durer un peu plus longtemps.

 

Vous trouvez mes problèmes de piles futiles? Peut-être, mais à une autre échelle, ils ne font que refléter le casse-tête auquel sont confrontés les fabriquants de véhicules électriques: lorsqu'elles sont échangées contre des neuves, les batteries des Zoé et autres Peugeot iOn, ont encore, environ, 80% de leur capacité... Pas assez pour faire rouler une voiture dans de bonnes conditions, mais suffisamment pour d'autres usages moins gourmands. Reste à trouver lesquels.

 

 

Catherine Bernard

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