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Publié par Scientifique

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Demande de grâce présidentielle, intervention du ministère de l'agriculture, pétition sur Internet rassemblant à ce jour près de 30 000 signatures... Gilbert Edelstein, le directeur du cirque Pinder, n'a pas lésiné sur les moyens pour tenter de sauver Baby et Nepal, deux éléphantes supposées tuberculeuses et menacées d'euthanasie.

Alors que la préfecture du Rhône avait demandé le 11 décembre à la ville de Lyon de procéder à leur abattage, l'affaire a pris un tour juridique après le dépôt par leur défenseur, lundi 17 décembre, d'un recours devant le tribunal administratif de Lyon. Celui-ci devait examiner le dossier dans la matinée du jeudi 20 décembre, et délibérer "en urgence" sur le sort qu'il convient de réserver aux deux éléphantes, confiées en 1999 par le cirque Pinder au Parc de la Tête d'Or de Lyon.

Baby et Nepal, respectivement 42 et 43 ans – un âge respectable dans l'espèce éléphantine –, sont-elles ou non atteintes de tuberculose ? Si oui, la sécurité sanitaire, s'agissant d'une maladie grave et infectieuse à transmission croisée entre l'homme et l'animal, imposera vraisemblablement leur abattage. Mais est-ce vraiment le cas ? "Les tests portés à ma connaissance ne sont pas suffisants pour connaître le statut sanitaire de ces deux éléphantes", affirme le docteur Florence Ollivet-Courtois, vétérinaire référente du cirque Pinder.

 

2010 : PREMIER ACTE, LES ÉLÉPHANTES À L'ISOLEMENT

L'enjeu de l'affaire dépasse le sort des deux pachydermes, et il semble bien que le dernier acte ait été mené un peu vite. Le premier de ces actes se joue en août 2010. Nepal et Baby étant suspectées d'être porteuses du bacille de la tuberculose, un dispositif de prévention est mis en place pour protéger les soigneurs (suppression de tout contact direct, port de masque) et un avis est demandé à la direction départementale de protection des populations (DDPP) de la préfecture du Rhône.

Le 4 janvier 2011, "considérant les résultats positifs des examens sérologiques", les services vétérinaires de la DDPP imposent que les deux éléphantes soient soustraites à la présentation du public. La Ville de Lyon, chargée de l'administration du Parc de la Tête d'Or, précise avoir alors "résilié la convention de prêt et demandé à M. Edelstein de reprendre possession de ses éléphantes". Ce qui n'advint pas.

Est-ce à cause des troubles de l'humeur dont Baby et Nepal semblent être depuis longtemps atteintes, rendant leur cohabitation avec les autres animaux particulièrement difficiles ? "Si je n'ai pas récupéré mes éléphantes lorsque la ville de Lyon a résilié la convention de prêt, c'est pour la raison suivante : elles ont été prêtées en bonne santé, il est logique qu'elles me soient rendues en bonne santé", rétorque aujourd'hui le directeur du cirque Pinder. Qui n'en reconnaît pas moins que ses deux protégées "ne s'entendent pas avec les autres éléphants".

 

 2012 : DEUXIÈME ACTE, L'EUTHANASIE EST ORDONNÉE

Le deuxième acte débute le 14 août 2012, avec le décès de Java : la doyenne des éléphantes de la Tête d'Or, elle aussi suspectée d'avoir contracté la tuberculose et isolée à ce titre de la même façon que Nepal et Baby. Une autopsie post-mortem est effectuée, et les analyses bactériologiques sont confiées au laboratoire national de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Le 11 décembre, celle-ci transmet à la DDPP les résultats de son expertise : Java était bien porteuse d'une souche de Mycobactérium tuberculosis, hautement contagieuse et transmissible à l'homme.

C'est là que tout s'accélère. Ce même 11 décembre 2012, en effet, un arrêté de la préfecture enjoint la ville de Lyon de procéder à l'euthanasie des deux éléphantes dans un délai de trente jours, au motif de la contamination avérée de Java.
 

 

Une des deux éléphantes du parc de la Tête-d'Or, à Lyon, soupçonnée d'avoir la tuberculose.

 

"On est très tristes pour ces animaux, mais on ne peut pas prendre le risque que des Lyonnais soient contaminés par la tuberculose", confirme alors Jean-Louis Touraine, médecin et adjoint au maire de Lyon en charge du dossier. L'abattage des deux animaux est fixé au 17 décembre, soit moins d'une semaine plus tard. Pourquoi si vite ? "Procéder à l'euthanasie de deux éléphants implique la mise en place d'un dispositif lourd, et la présence de nombreux intervenants", justifie la Ville de Lyon.

Le centre d'équarrissage de Viriat (Ain), où les dépouilles doivent être traitées et incinérées, n'étant ouvert que le lundi, et la période des fêtes approchant, cette date était la seule qui permettait de respecter le délai de trente jours imposé. La plus à même, aussi, de déclencher l'ire des opposants à ce projet radical. A commencer par M. Edelstein, soudain hautement déterminé à sauver ses deux pachydermes.

 

 LE DIRECTEUR DE PINDER REDÉCOUVRE SES ÉLÉPHANTS

"Alors qu'on décime les éléphants en Afrique pour faire commerce de l'ivoire de leurs défenses, il ne reste plus à mes deux éléphantes que quelques jours à vivre sans intervention au plus haut niveau", écrit le 13 décembre, dans un communiqué, le directeur du cirque Pinder. Le 14, il adresse une demande de grâce présidentielle à François Hollande. Le 17, le préfet du Rhône, Jean-François Carenco, indique avoir suspendu temporairement, "en accord avec le ministère de l'agriculture", l'obligation de procéder à l'euthanasie "pour permettre au directeur du cirque Pinder, s'il le souhaite, de déposer un recours au tribunal administratif". Le jour même, M. Edelstein annonce le dépôt d'un recours au tribunal de Lyon.

 

Au-delà de ces péripéties, la question centrale reste celle de l'état sanitaire de Nepal et Baby. Lequel, en tout état de cause, ne semble pas justifier une telle précipitation. "Les deux éléphantes concernées par cette mesure d'euthanasie sont présumées malades depuis 2011, sans qu'aucun test ni traitement n'ait été entrepris sur eux", constate Me Francis Lefaure, avocat-conseil de la société Promogil qui représente le cirque Pinder, en précisant que celle-ci "n'a en sa possession aucun document" mentionnant les résultats positifs des tests effectués en 2010.

 

En ce qui concerne "l'impossibilité de traitement" évoquée par la Préfecture, Me Lefaure estime par ailleurs cette position "critiquable". Aux Etats-Unis, où le dépistage de la tuberculose est systématiquement pratiqué sur les animaux en captivité, il s'avère que 13% à 25% des éléphants d'Asie – selon les estimations – sont porteurs du bacille. Lorsque les conditions s'y prêtent, des antibiothérapies peuvent être mises en place. Avec des résultats aléatoires, mais qui méritent à tout le moins, affirme l'avocat, que la question soit posée. Faute de quoi "la généralisation des mesures préconisées par la préfecture du Rhône entraînerait une véritable hécatombe dans les populations d'éléphants et autres espèces protégées dans les cirques, zoos et parcs animaliers".

 

 ROBIN DES BOIS À LA RESCOUSSE 

"Aucune réglementation européenne ou française ne concerne explicitement la tuberculose chez les espèces sauvages. Aussi, les options prises à la suite de cas de tuberculose dans un parc zoologique dépendent d'une concertation entre les autorités sanitaires, vétérinaires et le gestionnaire concerné, en l'espèce la ville de Lyon", commente quant à elle l'association de protection de l'environnement Robin des Bois.

 

Des défenseurs des animaux manifestent devant l'une des entrées du parc de la Tête d'Or, à Lyon, contre l'euthanasie requise de Baby et Nepal, les deux éléphantes tuberculeuses.

 

Dans un communiqué diffusé le 18 décembre sous le titre "Sauvez les vieilles dames!", elle estime que la mise à mort des deux éléphantes "serait entachée de cruauté et d'illégalité". Et demande au préfet du Rhône, au ministre de l'agriculture et au maire de Lyon "d'ordonner les soins et la vigilance vétérinaires pour que la tuberculose soit dépistée et éradiquée dans le zoo de la Tête d'Or".

 

Ordonner les soins ? Pas si simple. "La tuberculose est une maladie qui se transmet des animaux à l'homme et de l'homme à l'animal, précise la vétérinaire Céline Moussour. Elle peut être traitée par des antibiotiques, mais en raison de sa polyrésistance, on enseigne dans les écoles françaises de proposer l'euthanasie quand elle est détectée chez un animal." De même décide-t-on souvent, lorsqu'une bête d'élevage est atteinte d'une maladie à risque, d'abattre tout le troupeau...

 

Mais un éléphant en captivité n'est pas une vache. Et les conséquences de sa mise à mort ne sont pas les mêmes, au plan psychologique comme au plan écologique. Peut-être faudra-t-il se résoudre à euthanasier Nepal et Baby. Mais on ne peut prendre cette décision sans avoir la certitude qu'elles sont bien porteuses de la tuberculose. Est-ce le cas ? Il appartient désormais au tribunal d'en juger.

 

Catherine Vincent

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