Découverte de la matière noire : qu'est-ce que ça change ?
Une trace d'antimatière pourrait avoir été repérée par un détecteur de la Station spatiale internationale.
Aurélien Barrau : Il s’agit en fait d’une équipe internationale comptant une majorité de chercheurs européens. Le centre de réception des données se trouve au Cern, à Genève. La mesure de ces traces d’antimatière est tout à fait avérée et ne fait aucun doute. Plus de 400.000 particules d’antimatière ont été détectées. L’expérience met en évidence une importante population de positons parmi les particules cosmiques. Les positons sont les partenaires d’antimatière associés aux électrons. L’existence d’antimatière est connue et comprise depuis près d’un siècle. Sa présence en faible quantité dans l’Univers est également mesurée depuis fort longtemps. La nouveauté vient de la précision de cette mesure et des caractéristiques fines de son évolution en fonction de l’énergie. Ce qui nous intéresse aujourd’hui n’est pas l’existence de ces positons mais leur origine.
Cette découverte pourrait laisser entrevoir des processus astrophysiques jusqu’alors inconnus ou, plus radicalement encore, des phénomènes nouveaux de physique des particules. Il s’agit finalement de poursuivre la démarche globale de l’astronomie permettant de cerner les nombreux visages de l’Univers.
Ce détecteur est le fruit d’une large collaboration internationale. Il est dédié à la recherche fondamentale. Il tente d’apporter des éléments de réponse à des énigmes importantes de l’astrophysique contemporaine : origine du rayonnement cosmique, nature de la matière noire, existence d’anti-étoiles. Pour avancer sur ces questions délicates, il a été nécessaire de mettre au point un détecteur d’une très grande complexité qui a demandé environ quinze année de développements. Il est mis en place sur la Station Spatiale Internationale depuis deux ans environ. Ses premiers résultats viennent juste d’être publiés.
Naturellement, il apportera de nombreuses autres données et nous travaillons sur beaucoup d’autres mesures que le signal de positons tout juste publié. Dans la prochaine décennie, AMS livrera sans aucun doute à la communauté scientifique des données précieuses. Mais, dans tous les cas, il s’agit clairement de recherche fondamentale ayant vocation à améliorer notre compréhension de l’Univers et pas de recherche appliquée ayant des retombées économiques directes. Le détecteur terminera probablement sa vie sur la Station Spatiale.
On sait en effet que l’essentiel de la masse de l’Univers est invisible et de nature inconnue. C’est un des grands mystères de la cosmologie. Une énigme majeure. Depuis plusieurs dizaines d’années, nous cherchons à comprendre ce qu’est réellement la matière noire. L’une des meilleures hypothèses émises à l’heure actuelle consiste à supposer qu’elle est composée de nouvelles particules dites « supersymétriques ». Or, ces particules supersymétriques, peuvent, quand elles se rencontrent, émettre (entre autres) des positons. On peut donc supposer que le signal de positons mesuré par AMS soit un indice des ces particules supersymétriques constituant la matière noire. Il s’agirait alors d’une avancée majeure dans notre compréhension du contenu de l’Univers.
Pour le moment, il est néanmoins impossible de conclure. Il est tout à fait possible et même probable que les positons mesurés par AMS soient plutôt dus à des processus astrophysiques plus « standard » et ne soient pas liés à la matière noire. Il faut attendre encore un peu et avoir plus de données. Dans tous les cas, il s’agit d’une mesure importante pour comprendre notre environnement cosmique.