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Publié par Scientifique

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Dans le monde angoissé de la recherche sur l’anxiété, l’une des découvertes parmi les plus constantes en est peut-être aussi la plus polémique: d’innombrables études révèlent que les femmes sont deux fois plus sujettes à l’anxiété que les hommes. Quand elles répondent à des sondages, elles admettent toujours ressentir des niveaux d’angoisse bien supérieurs à ceux des hommes sur tous les sujets, de la criminalité à l’économie.

 

 

Les psychologues diagnostiquent deux fois plus de troubles anxieux chez les femmes que chez les hommes, et les recherches confirment —peut-être sans surprise— que les femmes sont bien plus enclines à se laisser aller à des émotions négatives, à l’autocritique et à l’éternelle rumination des problèmes.

À partir de telles statistiques, certains se sont même rangés à la thèse de l’économiste Larry Summers selon qui les femmes sont simplement programmées pour être bien plus nerveuses que les hommes —une idée qui a indigné de nombreuses femmes au sein (et à l’extérieur) de la communauté des psychologues.

Un piège culturel pernicieux

De nouvelles preuves viennent à la rescousse des offensées: pour ce qui est de nos idées préconçues sur l’anxiété féminine, les femmes sont en effet injustement traînées dans la boue. Car si elles sont plus angoissées que les hommes en moyenne de nos jours, cette différence est principalement la conséquence d’un piège culturel —par lequel des partis-pris majeurs, sociaux et parentaux, font des filles des adultes inutilement angoissées.

En réalité, l’idée que les femmes sont «naturellement» deux fois plus angoissées que les hommes n’est rien d’autre qu’une pernicieuse illusion.

Avant de déchaîner la vengeance des furies sur ces sornettes, cependant, il convient de nous débarrasser de certaines mauvaises nouvelles: quelques études récentes indiquent que les différences hormonales entre les sexes rendent biologiquement les femmes un tantinet plus enclines à l’anxiété que les hommes.

Une expérience notable de l’année dernière, par exemple, a révélé que les cerveaux féminins —enfin, les cerveaux des rates en réalité— étaient davantage troublés par de petites doses d’une hormone du stress majeure appelée corticolibérine que les cerveaux masculins.

De même, une autre étude de 2010 de la Florida State University a révélé que les plus hauts niveaux de testostérone des rats mâles semblent leur garantir de plus grandes facultés d’amortissement du stress que leurs homologues féminines (n’espérez pas vous raccrocher au fait que ces études ont été conduites sur des rongeurs; la plupart de nos connaissances en neurosciences sur les mécanisme de la peur ont été obtenues en tourmentant des rats de laboratoire).

L’ampleur du rôle joué par ces facteurs biologiques sur l’anxiété féminine humaine n’est pas encore tout à fait claire.

Détermination sociale

En revanche, nous savons avec certitude que la manière dont nous élevons nos enfants joue un rôle immense dans la détermination de leur tendance à l’anxiété plus tard, et par conséquent, la différence dans notre manière de traiter les filles et les garçons contribue en grande partie à expliquer l’état de nervosité constaté chez beaucoup de femmes adultes. Pour montrer à quel point c’est important, commençons au tout début.

Si les femmes était réellement programmées pour être beaucoup plus angoissées que les hommes, nous les verrions manifester cette anxiété dès le plus jeune âge, n’est-ce pas? C’est pourtant précisément l’inverse qui se produit: selon l’experte de l’anxiété de l’UCLA Michelle Craske, au cours des premiers mois de la vie du nourrisson, ce sont les garçons qui font montre de la plus grande indigence affective.

Si les filles deviennent légèrement plus susceptibles d’éprouver des sentiments négatifs vers deux ans (ce qui, au passage, est l’âge auquel les enfants commencent à apprendre les rôles sexués), des recherches ont montré que jusqu’à 11 ans, les filles et les garçons courent le même risque de présenter des troubles de l’anxiété. À 15 ans en revanche, les filles sont six fois plus exposées que les garçons.

Pourquoi ce fossé soudain dans le diagnostic de l’anxiété? Eh bien, une des réponses est que lorsqu’un torrent d’hormones adolescentes envoie les émotions de ces garçons et de ces filles par-dessus les moulins, les différences dans leurs éducations finissent par les rattraper. Après tout, que ce soit volontaire ou non, les parents traitent généralement les emportements émotionnels des filles bien différemment de ceux des garçons.  

«Du point de vue de la socialisation, de nombreuses preuves indiquent que les petites filles qui montrent de la timidité ou de l’anxiété sont confortées dans cette voie, alors que les petits garçons adoptant le même comportement peuvent même être punis pour cela», m’a confié Craske.

«L’effet genou écorché»

Dans mon livre Nerve, j’appelle cela «L’effet genou écorché»: les parents vont dorloter les fillettes qui pleurent après un gros bobo mais intiment aux garçons de se contenir, et ce lien formateur entre emportements émotionnels et bisous de maman prédispose les filles à réagir aux situations désagréables avec des émotions «négatives» comme l’anxiété plus tard.

Par-dessus le marché, les préjugés culturels sur les garçons soi-disant plus capables que les filles conduisent aussi les parents à pousser leurs fils à faire preuve de courage et à affronter leur peur, tandis que les filles sont bien plus susceptibles d’être protégées des difficultés de la vie. Quand la petite Olivia a peur, elle a droit à un câlin; si le petit Oliver a les foies, on lui ordonne de s’en remettre.

La conséquence de ces inégalités éducatives est qu’une fois devenues des jeunes femmes, les filles ont acquis moins de stratégies de gestion de stress efficaces que leurs homologues masculins, ce qui se traduit par un niveau d’angoisse plus grand. Les deux sexes apprennent à gérer la peur de manière très différente: les hommes sont conditionnés pour affronter les problèmes frontalement, tandis que les femmes apprennent à se faire du souci, à ruminer et à se plaindre les unes aux autres (hé, je ne fais que rapporter ce que disent les recherches) plutôt qu’à se colleter aux problèmes de façon active.

Il s’agit là de généralisations, bien sûr; le fait que j’aie toujours été un angoissé de catégorie olympique prouve que les hommes sont tout aussi capables de se tracasser, et tout le monde connaît au moins une femme qui semble ignorer ce qu’est la peur. Pourtant, ces différences d’éducation clarifient un aspect non négligeable du fossé entre les sexes en termes d’anxiété.

Le cliché de la femme angoissée

Cependant, l’éducation ne justifie pas à elle seule l’anxiété féminine, car même quand une jeune femme émerge de l’enfance pour devenir une adulte relativement décontractée et résiliente, elle doit tout de même se battre contre des forces sociales qui semblent déterminées à la rendre anxieuse.

Vous vous attendrez sans doute à ce que je m’attarde ici sur la pression infernale que la culture moderne exerce sur les femmes pour les pousser à paraître belles et jeunes pour toujours (une enquête extrêmement discutable montre que les femmes s’inquiètent de leur corps en moyenne 252 fois par semaine), mais si c’est un problème d’importance, les préjugés culturels sur l’angoisse féminine sont encore plus profondément ancrés.

Nous avons curieusement tendance à cataloguer les femmes comme angoissées, même quand elles ne le sont pas. Une étude récente et extrêmement révélatrice montre que même dans des situations où hommes et femmes expérimentent le même niveau d’émotion, les femmes sont constamment jugées —et se jugent elles-mêmes— «plus émotives» que les hommes.

Rien de très surprenant, par conséquent, que ce préjugé soit valable aussi pour l’anxiété; nous gobons bien trop souvent le cliché de la femme angoissée.

Un autre rapport a par exemple trouvé des différences significatives dans la manière dont les médecins réagissent face aux patients reportant les symptômes courants de stress comme des douleurs à la poitrine: alors que les hommes se voient soumettre à une batterie de tests cardiaques, les femmes s’entendent dire le plus souvent qu’elles sont juste stressées ou angoissées, et que leurs symptômes sont dans leur tête.

Les hommes vont moins chez le psy

Le caractère suspect de l’hypothèse selon laquelle les femmes sont bien plus angoissées que les hommes dès la naissance devrait désormais paraître clair, mais avant que je ne fasse ma sortie drapé dans toute la splendeur de ma cape de justicier, il convient de préciser un dernier point: les hommes s’en sortent bien trop facilement sur le sujet de l’anxiété.

La principale raison pour laquelle on diagnostique deux fois plus de troubles de l’anxiété chez les femmes que chez les hommes n’est probablement pas parce qu’elles sont deux fois plus peureuses. C’est parce que les hommes anxieux sont bien moins susceptibles de rechercher une aide psychologique.

Le revers d’une éducation poussant à se montrer toujours fort est que les hommes finissent par penser qu’aller consulter un psy est un signe de faiblesse ou d’échec (pensez à la réticence grincheuse de Tony Soprano à admettre les avantages de la psychiatrie), ce qui explique pourquoi selon certaines estimations les hommes ne constituent que 37% des patients de psychothérapie.

Si près de deux fois plus de femmes cherchent de l’aide auprès d’un psychologue, il est évident qu’on leur diagnostiquera deux fois plus de troubles de l’anxiété. Fait assez inquiétant, il semble que si les femmes gèrent l’anxiété et le stress en se faisant du souci, les hommes sont plus susceptibles de noyer ces sentiments dans l’alcool ou la drogue —ce qui pourrait expliquer que les hommes courent davantage de risques de souffrir de troubles «antisociaux» comme l’alcoolisme.

Alors haut les cœurs, femmes de tous les pays: vous n’êtes pas nécessairement programmées dès l’usine pour être des machines à vous ronger les sangs. Voilà la vérité profonde derrière le grand fossé de l’angoisse: tout le monde traverse des passages de stress et d’inquiétude. Les femmes sont simplement plus honnêtes face à leurs angoisses, parce qu’on leur a appris à les gérer en se tracassant sans entraves.

Naturellement, je ne suis pas en train de dire que si nous élevions les garçons et les filles exactement de la même manière, si nous éradiquions le préjugé culturel de l’anxiété à l’égard des femmes et si nous forcions plus d’hommes à s’allonger sur le divan, l’écart entre les sexes en termes d’anxiété disparaîtrait comme par magie. En revanche, nous constaterions sûrement qu’il est bien moins large qu’il n’y paraît.

Taylor Clark

Traduit par Bérengère Viennot

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C
<br /> <br /> Ouille, ouille, ouille !<br /> <br /> <br /> <br />
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