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Publié par Scientifique

 

[L'EXPLICATION] Tout est dans la cause du phénomène, même si les scientifiques ont longtemps utilisé le mot «raz-de-marée» pour désigner un tsunami.

 

Pour décrire l’immense vague qui a déferlé sur l’Est du Japon à la suite du séisme du 11 mars, les médias français ont davantage utilisé le terme «tsunami», un mot japonais, plutôt que «raz-de-marée». Sur Google News, par exemple, la requête «Japon tsunami» renvoie plus de 30.000 occurrences contre moins de 1.000 pour la requête «Japon raz-de-marée».

Le mot français s’est donc trouvé aisément supplanté par le japonais, mais y a-t-il une différence entre un tsunami et un raz-de-marée?

Oui et non: «raz-de-marée» est un terme désuet utilisé pour parler de tous les accidents marins qui «faisaient déborder la mer», explique le géographe Charles Le Cœur, faisant référence à l’effet plus qu’à la cause du phénomène. Donc, les tsunamis, mais aussi une série de grosses vagues, ou une onde de tempête.

Par exemple, on a parlé de raz-de-marée pour désigner les inondations de 1953 en Pays-Bas, qui avaient été créées par une onde de tempête. Même chose pour la tempête Xynthia, très largement décrite comme un raz-de-marée alors que l’inondation avait également été causée par une onde de tempête.

La définition stricte du raz-de-marée le limite aux événements liés à une cause météorologique, même si on a utilisé le terme pour décrire des tsunamis pendant longtemps. Désormais on distingue l’événement à l’origine du phénomène marin pour le nommer, estime Hélène Hébert, spécialiste des tsunamis au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA):  

«Soit c’est météorologique pour le raz-de-marée, soit c’est géologique pour le tsunami.»

Le mot «tsunami» est apparu chez les Occidentaux pour la première fois en 1896, dans un récit de la journaliste/écrivaine Eliza Ruhamah Scidmore écrit pour le National Geographic.

Il s’est popularisé dans la littérature scientifique anglo-saxonne et française au XXe siècle, particulièrement avec le tsunami qui a touché Hawaï en 1946 (et la mise en place d’un «système d’alerte des tsunamis» en 1949), et le tremblement de terre au large du Chili de 1960, qui entraîna des tsunamis sur le pays, sur Hawaï, le Japon, les Philippines et la côte Ouest des Etats-Unis.

Pour Charles Le Coeur, les années 1950-60 ont également marqué le passage d’un mouvement de description des phénomènes à une recherche de leurs causes, «ce qui a participé au changement des termes employés»: même s’il signifie littéralement en japonais «vague sur le port» et n’est donc pas plus précis que raz-de-marée puisque les tsunamis ne se jettent pas nécessairement sur les ports (tout comme les raz-de-marée ne sont pas liés aux cycles de la marée), le mot tsunami désigne uniquement ces débordements de mer déclenchés par un mouvement sismique.

Les scientifiques, particulièrement ceux qui travaillent sur les tsunamis, ont donc abandonné le mot «raz-de-marée», comme les anglo-saxons n’utilisent plus non plus le terme de «tidal wave», explique Frédéric Dias, professeur à l’ENS Cachan et qui travaille sur le phénomène.

«Le mot raz-de-marée n’est plus utilisé parce que tsunami est devenu le mot utilisé par tout le monde pour décrire ce phénomène.»

Ci-dessus, l'emploi du mot «tsunami» et «tidal wave» dans les livres en anglais entre 1930 et 2008, d'après Google Ngrams. En bleu, «tsunami» et en rouge «tidal wave».

Les raz-de-marée sont liés à des tempêtes ou à des accidents atmosphériques majeurs et provoquent des inondations dont la durée est davantage de l’ordre des minutes que des heures, explique Hélène Hébert.

Les tsunamis sont causés par un tremblement de terre, une éruption volcanique ou un énorme glissement de terrain, sur les côtes ou sous la mer, et durent des heures, avec une première vague où l’eau monte pendant 20 ou 30 minutes avant de se retirer puis l’arrivée d’une nouvelle vague, etc. Une des particularités de la forme du tsunami est la longueur d’onde (distance entre deux crêtes successives), qui est de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres, au lieu de quelques mètres pour les vagues de notre vie quotidienne, détaille Denys Dutykh, chargé de recherches au CNRS qui a écrit sa thèse sur les tsunamis.

Un processus qu'on peut voir à l'oeuvre dans la vidéo ci-dessous, tournée lors du tsunami japonais du 11 mars:

L’explication bonus: qu'est-ce qu'une vague scélérate? Et un mascaret?

Il ne faut pas confondre le tsunami ou le raz-de-marée avec les hautes vagues créées par les mascarets et les vagues scélérates. Le mascaret, explique l’océanographe Fabrice Ardhuin, peut ressembler assez fortement à un tsunami sur une étendue beaucoup plus réduite (le lit d’un fleuve ou d’un estuaire, pas les centaines de kilomètres de côtes potentiellement atteintes pendant un tsunami). Quand une onde de marée remonte une rivière, si sa vitesse est égale à celles des ondes de la rivière, elle crée une vague qui déferle dans cette rivière. Un phénomène observable chez soi: quand on fait couler de l’eau dans un évier, l’eau tombe sur la partie plate de l’évier et à une certaine distance du jet se forme une espèce de bourrelet, un mini mascaret.

Les vagues scélérates sont elles générées par le vent. Le phénomène se produit quand plusieurs vagues venant de directions différentes se superposent, souvent à la suite d'une tempête. C’est une très forte localisation d’énergie à un moment précis et à un endroit précis, note Frédéric Dias, qui peut faire chavirer un bateau: une première vague scélérate peut par exemple en casser les vitres et stopper les circuits électriques, rendant le bateau ingouvernable. Le bateau se met alors à dériver en parallèle à la vague au lieu de lui être perpendiculaire, et si une deuxième vague scélérate arrive, elle le renverse.

Alors que la vague d’un tsunami ne fait que quelques mètres en pleine mer et prend de la hauteur en se rapprochant des côtes, au point de pouvoir être naviguée par un bateau de garde-côte japonais dans la vidéo ci-dessous, les bateaux doivent affronter les vagues scélérates en mer haute.

 

L’explication double bonus: comment se forment les tourbillons de mer?

 Un lecteur nous a demandé sur la page Facebook de Slate quelle était la mécanique permettant d'observer les immenses tourbillons qui sont apparus près des côtes, et qu'on peut voir dans la vidéo ci-dessous:

 

Ceux-ci se forment souvent près des côtes, comme «la réponse d’un port à cette entrée d’énergie du large», explique Hélène Hébert. Avec un tsunami, une énorme masse d’eau pénètre dans les terres et, en fonction de leur relief, le courant fait des tourbillons, décrit Charles Le Coeur:  

«La vitesse du courant fait que l’eau ne s’écoule pas comme une nappe homogène, et dès qu’il y a un creux, ça fait des tourbillons.»

Ces tourbillons sont parfois même le seul signe de tsunami: Hélène Hébert explique qu’en Polynésie française, les tsunamis venant d’Amérique du sud ou du Pacifique n’inondent pas forcément les baies, où se forment à la place ces gros tourbillons.

Ces tourbillons ne sont pas spécifiques au tsunami, et peuvent avoir lieu dès qu’il y a un très fort courant, comme c’est le cas en Norvège avec le Saltstraumen.

 

Cécile Dehesdin

Slate

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